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tictacogecko secundo

2 août 2013

GRANDE DISTRIBUTION : ABUS DE POSITION DOMINANTE

L’histoire de la grande distribution française, commence comme un conte de fées. Bernardo Trujillo (1920-1971) est un américain d'origine colombienne. C’est l'un des premiers à formaliser dans les années 1950 aux États-Unis, les principes théoriques et pratiques qui vont faire le succès la grande distribution moderne. On peut considérer, qu'avec Marcel Fournier et les frères Defforey, mais également avec Maurice Cauwe, il est à l'origine de la diffusion de ce qui deviendra l'hypermarché à la française.

Ce théoricien de la mise en marché organise les conférences «Méthodes marchandes modernes» (MMM) pour le compte du fabricant de caisses enregistreuses NCR (National Cash Register) auxquelles les principaux acteurs de la grande distribution française assistent, parmi lesquels : Marcel Fournier (Carrefour), Jacques et Denis Defforey (Carrefour), Gérard Mulliez père et Gérard Mulliez Fils (Auchan), Paul Dubrule (Accor), Gérard Pélisson (Accor)… Finalement, seul Édouard Leclerc (E.Leclerc) semble fier de ne pas avoir fait le détour par Dayton (Ohio).

 Les cours de Bernardo Trujillo ont eu valeur de révélation pour les nombreux pèlerins de la distribution, dont près de deux mille cinq cents français entre 1957 et 1965. Convaincu que distribution de masse et production de masse sont indispensables l’une à l’autre, il explique les avantages de la grande surface, du libre-service et du discount, en martelant des formules chocs : «no parking, no business», «des îlots de pertes dans un océan de profits», «empilez haut et vendez bas») qui restent gravées dans les esprits. Tous en reviennent persuadés que «l’oracle de Dayton» dessine les voies de l’avenir.

Cela a fait cinquante ans le 15 juin, que la sulfureuse Françoise Sagan coupe en 1963 le cordon du premier hypermarché en banlieue parisienne, le Carrefour de Sainte-Geneviève-des-Bois. Pour l'enseigne, qui deviendra numéro deux mondial de la distribution, il s'agit de frapper un grand coup. La cible? Un certain Edouard Leclerc, qui joue les bons samaritains en cassant les prix. Cinquante ans après, rien n'a changé. Michel-Edouard Leclerc, en digne fils de son père, répète comme une antienne : «On est les moins chers». Et Georges Plassat, le PDG de Carrefour, lui répond : «Mais non, c'est nous». Enchères perpétuelles à la baisse auxquelles se joignent d'autres enseignes, dont Intermarché.

 

Voilà cinquante ans que le consommateur est emporté (mené en bateau) par une communication massive, agressive, de la grande distribution, qui s'érige en défenseur du pouvoir d'achat. Et dont la recette n'a jamais changé : pour conserver les prix au plus bas, il faut faire du volume, toujours plus de volume. Les enseignes n'ont pas le choix, elles se concurrencent et se neutralisent. Et ça ne s'arrange pas avec le recul du pouvoir d'achat. «Nous sommes lancés dans une fuite en avant», constate Michel-Edouard Leclerc. Et un de ses confrères ajoute : «Nous ne pouvons pas sortir du modèle que nous avons inventé». Premières victimes : les industriels

-petits et gros-  de l'agroalimentaire, pris en otages, pressurés, sinon étranglés, par la grande distribution. Les accusés rejettent invariablement le propos. Quoique... Dans un accès de lucidité surprenant, Georges Plassat relève récemment dans LSA, un hebdomadaire spécialisé, que, si "l'on continue comme ça, on va au désastre". Pour lui, ajoute-t-il, la "bataille des prix, ça se termine sur des ruines" avec, à la clé,"baisse des investissements, réduction des emplois, déclin de l'innovation et de la recherche".

 

Cette même lucidité est semble-t-il partagée par président de Système U, Serge Papin. Invité sur RMC et BFMTV, Serge Papin prévient que les plats préparés à base de viande 100% française seront 10% plus chers. Le PDG de l'enseigne de grande distribution Système U appelle à ne pas toujours chercher à baisser les prix au mépris des producteurs, de l'emploi, ou de l'environnement.

 

Serge Papin : «Sur certains produits, je trouve que cela relève plus de la grande consommation que de la pharmacie. Nous n’avons pas le droit de vendre des tests de grossesse, du mercurochrome, ni de produits pour les lentilles!» Il ajoute : «Il faut dire où nos bêtes ont été produites, comment elles ont été nourries, avec quoi. Le lait, le porc, le beurre sont déjà 100% français dans nos magasins».

 

Il en profite pour insister: «il faut interdire les prix abusivement bas sur les grandes marques internationales, au mépris des conditions sociales. C'est un projet de société. Il faut aider à la relocalisation de l’industrie en France, et de l’emploi. Vous voulez qu’on continue à mettre la pression sur les filières agricoles ? Il faut changer la loi de modernisation de l’économie. Elle a tous les travers de la mondialisation : c’est la loi du plus fort. Peut-être faudrait-il favoriser l’élevage en France. Peut-être faut-il réorienter les aides de la PAC, car les éleveurs français en ont besoin».

 

Serge Papin ne manque pas d’avertir ses lecteurs : « il faut le savoir, des plats cuisinés uniquement à base de viande française ce sera sans doute un petit peu plus cher, à peu près 10%, soit 10 à 15 centimes d’euros sur un plat. On demande à l’alimentation de porter la problématique du pouvoir d’achat. Est-ce qu’on ne pourrait pas moins téléphoner, et manger mieux ? Le prix à tout prix, sans tenir compte de l’emploi, de la santé, de l’environnement, il faudra se poser ces questions».

 

Prise de conscience tardive de la dégradation de l'industrie agroalimentaire ? Première du pays par le chiffre d'affaires et le nombre d'emplois, elle traverse une crise sans précédent. Ses investissements - et donc l'innovation - sont au plus bas. 297 entreprises ont mis la clé sous la porte l'année dernière, 3 900 postes ont été supprimés. Plus de 5 000 pourraient disparaître ce semestre, soit l'équivalent de huit Florange. Pour finir, les repreneurs familiaux se font rares. La France n'est pas près de donner naissance à un nouveau Danone.

 

Difficile de ne pas incriminer les distributeurs, qui abusent, depuis des années, de leur position de force pour imposer leurs prix et leurs pratiques aux fournisseurs, moyennant si nécessaire des accommodements avec la loi. Exemple : « il y a une inflation des budgets qui permettent de faire financer la promotion du produit par le seul fournisseur», indique Bercy. Cartes de fidélité, bons de réduction... sont proposés par les distributeurs et payés en réalité par les industriels. «Certains distributeurs vont jusqu'à proposer des miniprix ou des réductions pour certains produits durant plusieurs semaines, alors que contractuellement ils ne peuvent le faire qu'une semaine. Le fournisseur, lui, subit les rabais tout le temps» !

 

Aujourd'hui, nouvelle menace, Bercy redoute un racket au crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi de la part de la grande distribution sur les industriels. La plupart des acheteurs connaissent parfaitement les comptes de leurs fournisseurs. A partir de là, ils peuvent estimer le montant de l'aide reçue et réclamer leur au moment des négociations... «Aujourd'hui, lors de nos entretiens, certains acheteurs s'accrochent à leur ordinateur. Ils jouent avec leurs tableaux Excel. Ce logiciel leur permet d'intégrer toutes les variables, enfin celles qui les arrangent, pour établir leurs prix», explique un industriel.

 

Depuis quelque temps, la grande distribution opte aussi pour des commandes à flux tendus afin de limiter la casse et les coûts de stockage. «Nous sommes par exemple avertis le mardi pour une double commande : la première à livrer le lendemain et l'autre le samedi. Si on n'arrive pas à tout préparer pour le mercredi, on doit payer des pénalités et la commande du samedi est annulée. Du coup, c'est à nous de supporter le coût des stocks», accuse un industriel.

 

Autre source de complications, la volatilité du prix des matières premières. «En quatre ans, les matières premières qui composent mes pâtisseries ont pris 46 %. Elles constituent la moitié du coût du produit. J'aurais dû augmenter mes prix de 30 % pour amortir la hausse, sans compter les coûts de l'énergie et les impôts. Au lieu de cela, j'ai perdu 8 points de marge brute, se désespère un petit patron provençal. Il ne faut pas s'étonner ensuite que certains fournisseurs modifient leurs recettes au profit d'ingrédients de moindre qualité et forcément moins chers. Comme ceux qui ont mis du cheval à la place du boeuf »!

 

Toutes ces accusations sont balayées d'un revers de main par la grande distribution. Elle préfère accabler les confortables profits des multinationales de l'agroalimentaire, les Nestlé, Danone, Pernod-Ricard, Ferrero et autres Kraft... Réplique de l'une de ces cibles, française : «On donne l'impression de bien se porter. Mais nous améliorons nos résultats grâce à l'international et baissons nos standards en France». C'est sans doute pourquoi Danone et Coca-Cola ont annoncé des licenciements dans l'Hexagone. A l'en croire, donc, la grande distribution serait impitoyable avec les multinationales - qui, il est vrai, ont du répondant -, tandis qu'elle serait la meilleure alliée des PME. Vraiment ?

Les distributeurs se ménagent surtout des fournisseurs plus dociles, moins formés que les géants, moins équipés aussi pour vérifier que les conditions de vente conclues sont bien respectées dans l'ensemble de l'Hexagone. En disant protéger les «petits», la distribution se targue même de défendre la qualité des produits des terroirs (viande, charcuterie, vins, fromages...). «Mais les distributeurs ne cherchent qu'à nous diviser», s'insurge le dirigeant d'un géant de l'agroalimentaire. Ce n'est pas inutile au moment où le gouvernement dégaine un projet de loi pour recadrer les relations commerciales et, plus généralement, arrêter la chute vers l'abîme dans laquelle nous entraîne la grande distribution.

 

Issue très incertaine. Car tout le monde s'est mis en mode lobbying, l'inévitable Michel-Edouard Leclerc faisant déjà la course en tête. N'a-t-il pas été reçu - c'était le 10 mai - par François Hollande ? Le Breton ne voit d'ailleurs pas l'intérêt de changer les règles du jeu héritées de la loi de modernisation de l'économie de 2008. On le comprend : ce texte avait alors enterré les marges arrière, réintroduites ensuite, dans les faits, sous d'autres formes. Dans toutes les négociations, la grande distribution ne manque pas d'arguments à l'égard d'un gouvernement et d'un président de la République plus que jamais soucieux de l'emploi. Elle caresse le «bouton nucléaire», cette menace de remplacer les caissières par des scanners.

 

Côté industriels, le moral n'est pas celui de combattants. «On a une réputation catastrophique, on nous présente comme les fauteurs de malbouffe, le tout évidemment orchestré par la grande distribution. Il faut reconnaître qu'ils sont forts, admet un industriel.Il nous faudrait un de leurs patrons pour nous défendre» ! L'appel à candidatures est lancé.

Autre remarque, qui va dans le même sens, celle d’un journaliste de la Dépêche du Midi, Gérald Camier  qui constate que la grande distribution est aujourd’hui dans le collimateur, pour évasion fiscale.

 

 

«Depuis les années 2000, les groupes de la grande distribution, qui se sont autoproclamés défenseurs des consommateurs, font en réalité de l’abus de position dominante sur leurs fournisseurs». Le ton est légèrement féroce mais le sénateur de la Mayenne, Jean Arthuis - deux fois ministres et deux fois secrétaire d’État sous Jacques Chirac - compte bien mettre un coup de pied dans la fourmilière.

Au Sénat, lors de l’examen du projet de loi contre la fraude fiscale, il a défendu un amendement qui dénonce la présence en Suisse, Belgique et au Luxembourg, des paradis fiscaux bien connus des industriels, «d’officines qui verseraient des commissions aux enseignes de la grande distribution». Et donc beaucoup d’argent non imposable. Un système bien huilé qui «leur rapporte entre 2 et 4 milliards d’euros par an pour des produits alimentaires fabriqués et vendus en France. «Mais ce sont les consommateurs et les producteurs qui assument ces coûts qui progressent au fil des années», nous a confié par téléphone Jean Arthuis.

Les combines, pour le sénateur, c’est simple et efficace. «Le distributeur propose au fournisseur, s’il veut entrer dans le magasin et donc sur le marché, de s’acquitter de 2 % à 3 % sur chaque produit vendu. Cet argent est versé sur le compte bancaire de ces officines qui, à l’étranger, ont une fiscalité avantageuse», explique le parlementaire. Jusqu’en août 2008 et la loi de modernisation de l’économie, les officines, ou centrales offshore, étaient une pratique courante permettant aux enseignes de gonfler leurs marges. 

Pour renverser la tendance, M. Arthuis demande de «relocaliser ces établissements pour mettre un terme à ces détournements et de réintégrer ces prestations dans les bénéfices imposables des groupes en France». Les cinq grandes enseignes et leurs centrales d’achat, Carrefour (Interdis), Leclerc (Galec), Leclerc et Système U (Lucie), Intermarché (ITM), Cora (Opéra) et Auchan (Casino et Auchan France) sont dans le viseur. «Auchan a rapatrié une structure basée à Genève qui proposait des prestations de service aux fournisseurs internationaux. Mais ce n’est en rien un mécanisme d’optimisation fiscale. En 2012, nous avons payé 500 millions en impôts et taxes», assure le porte-parole d’Auchan.

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30 juillet 2013

COMMENT VENIR À BOUT DES MAFIAS

Une mystérieuse Miss Harper, qui publie sur Web-Libre Org, donne une définition de toutes les mafias, qui paraît exhaustive. Grâces soit rendues à cette jeune personne qui semble tout savoir de ces organisations criminelles : «Si aujourd'hui les organisations mafieuses sont réparties un peu partout dans le monde, l'origine de la toute première remonte en 1282. A l'époque, la France, dirigée par Charles d'Anjou, domine la Sicile. Dès lors, les paysans veulent être libérés et créent une armée secrète. Ils crient : « Morte Alla Francia Italia Anela », (mort à la France, crie l'Italie). Voilà comment serait né le mot MAFIA. Pourtant les historiens ne sont pas toujours d'accord quant à l'étymologie de ce mot ».

 

Au début de sa création, la Mafia a des buts légitimes. Les organisations secrètes d'anciens soldats et de brigands décident de faire régner l'ordre au nom de la liberté. Mais au fil du temps, il est impossible d'ouvrir un commerce sans verser un tribut à la Mafia. A la fondation du royaume d'Italie, les gabelloti représentent le groupe le plus puissant lorsqu'ils entrent au sein de la Mafia. Dès lors, les objectifs changent et se tournent vers le banditisme. Au XXème siècle, Don Vito Gascio Ferro dirige la mafia. L'organisation est si puissante qu'elle devient un Etat dans l'Etat. Mais la Mafia est très mystérieuse.

                          















































Elle organise des rites initiatiques dont la symbolique est médiévale dans des lieux tenus secrets. Chaque membre est lié comme les doigts de la main. La main est d'ailleurs devenue l'emblème de la Mafia. Mais chacun vit sous la loi du silence que nul ne peut bafouer sous peine de mourir. C'est à travers la fraternité, les symboles et le secret que l'on peut voir de la franc-maçonnerie dans la Mafia. La Mafia est si puissante, que ce soit politiquement ou financièrement qu'elle est crainte par le gouvernement officiel.

 

« C'est en 1920 que Mussolini tente de l'anéantir. Nombreux sont alors les mafiosi qui s'expatrient aux Etats-Unis et plus particulièrement à Chicago dont ils vont en faire la capitale du crime. Toujours aussi conservatrice et traditionaliste, la mafia se regroupe à nouveau, sous l'autorité d'un patron américain, Frankie Yale. De plus en plus violente, la Mafia achète les hommes et force leur conscience, depuis le plus modeste policier jusqu'au grand magistrat. Un des maires de Chicago, entre 1920 et 1930, Bill Thompson est dévoué à Al Capone, le plus connu des chefs mafieux. Al Capone, en outre, règne en maître à l'époque de la Prohibition (loi qui interdisait la consommation d'alcool aux Etats-Unis). Des distillateurs siciliens, en effet, produisait l'alcool qu'Al Capone revendait ensuite. Mais chaque dirigeant d'une mafia a sa spécialité. C'est pourquoi, après Al Capone il y eut, par exemple, Lucky Luciano, spécialiste des stupéfiants, puis Franck Costello, le maître des jeux qui avait le monopole des machines à sous de Las Vegas ».

 

Mais la mafia, outre sa violence, a participé à des chapitres importants de l'Histoire, notamment dans le débarquement allié en Sicile, en 1943. Lucky Luciano, alors en prison, a été sollicité par Roosevelt. Ce dernier lui promit sa libération s'il ordonnait à la Mafia d'apporter une aide armée aux alliés. De nos jours, la mafia est toujours aussi puissante.

 

Aux Etats-Unis, la Mafia emploierait des centaines de milliers de personnes. Dans la littérature, la Mafia est une source inépuisable. On pense par exemple à Scarface, de Howard Hawks, sans oublier que la Cosa Nostra (mafia sicilienne, qui est la plus importante organisation criminelle au monde) a inspiré les Bootleggers de Kenneth Allsop. Bien évidemment, on ne saurait oublier le Parrain de Mario Puzzo, adapté ensuite au cinéma par Francis Ford Coppola.

 

Mais la Mafia n'est pas seulement italienne. On trouve, notamment, la mafia corse qui s'étend jusque Marseille, sur toute la région PACA, en Afrique, dans les Antilles et même en Amérique du Sud. La mafia russe (Organizatsia ou Mafia Rouge), quant à elle, est divisée en plusieurs organisations (tchétchène, géorgienne, ukrainienne...) dont chacune est dirigée par un parrain. Puis, la mafia albanaise est considérée comme la plus violente au monde. Pour terminer, la mafia japonaise, que l'on appelle les yakuzas japonais, est établie dans les régions d'Osaka et de Tokyo. Leur chiffre d'affaire est basé sur le racket des chefs d'entreprise et sur l'industrie du sexe. Il existe bien d'autres organisations dans le monde qui ne sont pas prête de diminuer leur influence...

 

Michel Chossudovsky, un universitaire canadien (né en 1946) commence à sonner le tocsin devant la menace grandissante de tous ces groupes malfaisants. Réunis récemment à Genève, sept juges européens, dit-il, lancent un appel angoissé à la coopération entre les gouvernements pour tenter de contenir une menace mortelle pour les démocraties. Dans un gigantesque partenariat, le crime organisé, appuyé par les pouvoirs politiques et les multinationales de la finance et des affaires, pénètre progressivement tous les secteurs de l’économie mondiale, imposant ses systèmes de corruption en se jouant de la légalité des Etats. Lesquels se laissent peu à peu grangrener.

 

«À l’ère de la mondialisation des marchés, le rôle du crime organisé dans la marche de l’économie reste méconnu. Nourrie des stéréotypes hollywoodiens et du journalisme à sensation, l’activité criminelle est étroitement associée, dans l’opinion, à l’effondrement de l’ordre public. Tandis que les méfaits de la petite délinquance sont mis en vedette, les rôles politiques et économiques ainsi que l’influence des organisations criminelles internationales ne sont guère révélés à l’opinion publique».

 

Les sanglants affrontements entre gangs rivaux dans les rues de Chicago appartiennent à la « belle époque » des années 30. Dans la période d’après-guerre, les syndicats du crime ont progressivement gagné en respectabilité, en se comportant de plus en plus en entreprises ordinaires. Depuis lors, le crime organisé est solidement imbriqué dans le système économique. L’ouverture des marchés, le déclin de l’Etat-providence, les privatisations, la déréglementation de la finance et du commerce international, etc., tendent à favoriser la croissance des activités illicites ainsi que l’internationalisation d’une économie criminelle concurrente.

Selon l’Organisation des Nations unies (ONU), les revenus mondiaux annuels des organisations criminelles transnationales (OCT) sont de l’ordre de 1 000 milliards de dollars, un montant équivalent au produit national brut (PNB) combiné des pays à faible revenu (selon la catégorisation de la Banque mondiale) et de leurs 3 milliards d’habitants.

 

«Cette estimation prend en compte tant le produit du trafic de drogue, des ventes illicites d’armes, de la contrebande de matériaux nucléaires, etc., que les profits des activités contrôlées par les mafias (prostitution, jeux, marchés noirs de devises...). En revanche, elle ne mesure pas l’importance des investissements continus effectués par les organisations criminelles dans la prise de contrôle d’affaires légitimes, pas plus que la domination qu’elles exercent sur les moyens de production dans de nombreux secteurs de l’économie légale. De plus, de nouvelles relations se sont établies entre les triades chinoises, les yakuzas japonais et les mafias européennes et américaines. Plutôt que de se replier sur leurs activités traditionnelles et de les protéger, ces organisations se sont associées « dans un esprit de coopération mondiale » orienté vers « l’ouverture de nouveaux marchés » dans les activités tant légales que criminelles».

 

Selon un observateur, « les performances du crime organisé dépassent celles de la plupart des 500 premières firmes mondiales classées par la revue Fortune (...) avec des organisations qui ressemblent plus à General Motors qu’à la Mafia sicilienne traditionnelle  (3)  ». Selon le témoignage, cité par l’agence Reuter, du directeur du Federal Bureau of Investigation (FBI), M. Jim Moody, devant une sous-commission du Congrès des Etats-Unis, les organisations criminelles russes «coopèrent avec les autres mafias étrangères, y compris les mafias italiennes et colombiennes (...) , la transition vers le capitalisme [de l’ancienne Union soviétique] offrant de nouvelles occasions vite exploitées».

 

Parallèlement, les organisations criminelles collaborent avec les entreprises légales, investissant dans une variété d’activités légitimes qui leur assurent non seulement une couverture pour le blanchiment de l’argent mais aussi un moyen sûr d’accumuler du capital en dehors du domaine des activités criminelles. Ces investissements sont essentiellement effectués dans l’immobilier de luxe, l’industrie des loisirs, l’édition et les médias, les services financiers, etc., mais aussi dans les services publics, l’industrie et l’agriculture.

 

Durant le boom spéculatif des années 80, les yakuzas japonais ont investi massivement dans la construction et le développement urbain, finançant leurs activités par l’intermédiaire des jusen (ces sociétés de prêts immobiliers récemment tombées en faillite avec l’écroulement du prix des terrains à Tokyo). La Mafia italienne investit aussi bien dans l’immobilier urbain que dans les terres agricoles. En Thaïlande, des milliards de dollars du trafic d’héroïne du « triangle d’or » ont été recyclés et canalisés dans le financement de l’industrie textile de Bangkok par des confréries d’entreprises et des sociétés secrètes.

 

Les triades chinoises orientent également des fonds vers l’industrie cinématographique de Hongkong. Elles investissent aussi dans des entreprises industrielles associées à risques partagés (joint-ventures) dans les provinces chinoises de Guangdong et de Fujian ainsi que dans la zone économique spéciale, la zone franche, de Shenzhen. Leur chiffre d’affaires mondial est estimé à 200 milliards de dollars, soit plus de 40 % du PNB chinois. Les produits de l’activité criminelle sont déposés dans le réseau bancaire. A leur tour, les banques commerciales utilisent ces dépôts pour financer leurs activités de prêt et d’investissement dans l’économie tant légale que criminelle. L’argent sale est également canalisé vers des investissements respectables sur les marchés financiers ; une part de la dette publique est détenue par des organisations criminelles sous forme d’obligations et de bons du Trésor.

 

«Dans beaucoup de pays, les organisations criminelles sont devenues les créanciers de l’Etat et exercent, par leur action sur les marchés, une influence sur la politique macro-économique des gouvernements. Sur les places boursières, elles investissent également dans les marchés spéculatifs de produits dérivés et de matières premières. Les mafias ont effectué des investissements significatifs dans les banques d’affaires, qu’elles contrôlent en partie, les sociétés de courtage et les grands cabinets juridiques. Pour blanchir l’argent sale, le crime organisé utilise certaines des plus grandes banques américaines aussi bien que les sociétés d’investissement ou celles spécialisées dans les ventes d’or et de devises».

 

Bien que de nombreuses affaires de blanchiment bancaire soient clairement identifiées, les inculpations se limitent toujours aux employés subalternes. Très peu de banques ont été poursuivies. En 1994, par exemple, un jugement du tribunal de Houston, au Texas, condamna la banque internationale American Express à une amende de 7 millions de dollars et à 25 millions de dollars de pénalités pour avoir été mêlée à une affaire de blanchiment d’argent sale. « L’affaire American Express est venue de l’inculpation de deux directeurs de banque de Beverly Hills (Californie), coupables de blanchir des fonds à partir de comptes American Express contrôlés par des dépôts anonymes issus de sociétés-écrans établies dans les îles Caïmans. Pour arriver à un règlement de l’affaire, les agents fédéraux durent renoncer à poursuivre American Express. Nous avons décidé qu’il n’était pas certain que la banque soit impliquée dans l’activité criminelle, commenta l’assistant du procureur,  David Novak, elle ne concernait qu’un département. »

 

C’est dans les paradis fiscaux que les syndicats du crime sont en contact avec les plus grandes banques commerciales du monde, leurs filiales locales spécialisées dans le private banking offrant un service discret et personnalisé à la gestion de comptes à haut rendement fiscal. Ces possibilités d’évasion sont utilisées aussi bien par des entreprises légales que par les organisations criminelles. Les progrès des techniques bancaires et des télécommunications offrent de larges possibilités de faire rapidement circuler et disparaître les profits des transactions illicites.

 

«L’argent peut facilement circuler par transfert électronique entre la société-mère et sa filiale enregistrée comme une société-écran dans un paradis fiscal. Des milliards de dollars provenant des établissements gestionnaires de fonds institutionnels (y compris les fonds de pensions, l’épargne des mutuelles et les fonds de trésorerie) circulent ainsi, passant tour à tour sur des comptes enregistrés au Luxembourg, dans les îles Anglo-Normandes, les îles Caïmans, etc. Conséquence de l’évasion fiscale, l’accumulation, dans les paradis fiscaux, d’énormes réserves de capitaux appartenant à de grandes sociétés est aussi responsable de l’accroissement du déficit budgétaire dans certains pays occidentaux. L’ampleur du phénomène est impressionnante. Il existe quelque cinquante-cinq paradis fiscaux dans les principales régions du monde».

 

A elles seules, les îles Caïmans constituent le cinquième centre bancaire mondial avec plus de banques et de sociétés enregistrées que d’habitants. Des capitaux considérables, provenant d’activités légales et criminelles, sont aussi déposés aux Bahamas, dans les îles Vierges britanniques, aux Bermudes et à Saint-Martin, pour ne rien dire des places du Pacifique et de l’océan Indien, avec Vanuatu, les îles Cook et l’île Maurice.

 

«La banque d’affaires américaine Merrill Lynch estime au minimum à 3 000 milliards de dollars la fortune privée gérée depuis les paradis fiscaux, soit 15 % du PNB mondial. Mais, la plus grande partie étant déposée dans des comptes couverts par un secret bancaire rigoureux, la masse réelle des capitaux serait sensiblement plus importante. La Suisse reste le paradis préféré, avec plus de 40 % du total sur les comptes à numéro ouverts dans les banques aux non-résidents. Car les paradis bancaires ne se limitent pas aux nombreuses républiques de pacotille des îles tropicales : les mêmes facilités sont bien établies et protégées en Europe occidentale - au Luxembourg, en Suisse, dans les îles Anglo-Normandes, à Dublin, Monaco, Madère, Gibraltar, Malte... Les paradis fiscaux constituent un prolongement du système bancaire occidental, les comptes y étant accessibles par un terminal d’ordinateur, voire par l’entremise d’une carte Visa au guichet automatique, n’importe où dans le monde».

 

Avec la déréglementation, ils font intégralement partie du marché financier mondial. Les affaires légales et illégales sont de plus en plus imbriquées, introduisant un changement fondamental dans les structures du capitalisme d’après-guerre. Les mafias investissent dans les affaires légales et, inversement, celles-ci canalisent des ressources financières vers l’économie criminelle, à travers la prise de contrôle de banques ou d’entreprises commerciales impliquées dans le blanchiment d’argent sale ou qui ont des relations avec les organisations criminelles. Les banques prétendent que ces transactions sont effectuées de bonne foi et que leurs dirigeants ignorent l’origine des fonds déposés.

 

« La devise étant de ne poser aucune question, le secret bancaire et l’anonymat des transactions, tout en garantissant les intérêts du crime organisé, protègent l’institution bancaire des enquêtes publiques et des inculpations. Non seulement les grandes banques acceptent de blanchir l’argent, en échange de lourdes commissions, mais elles octroient également des crédits à taux d’intérêt élevés aux mafias criminelles, au détriment des investissements productifs industriels ou agricoles. Il existe une relation étroite entre la dette mondiale, le commerce illicite et le blanchiment de l’argent sale ».

 

Depuis la crise de la dette au début des années 80, le prix des matières premières a plongé, entraînant une baisse dramatique des revenus des pays en développement. Sous l’effet des mesures d’austérité dictées par les créanciers internationaux, des fonctionnaires sont licenciés, des entreprises nationales bradées, des investissements publics gelés, et des crédits aux agriculteurs et aux industriels réduits. Avec le chômage rampant et la baisse des salaires, l’économie légale entre en crise.

 

« Dans beaucoup de pays, une économie souterraine alternative s’est développée, terrain fertile pour les mafias criminelles. Marché national et exportations s’étant effondrés simultanément, un vide s’est créé dans le système économique où la production illicite devient le secteur d’activité dominant et la principale source de devises. Selon un rapport des Nations unies, « l’intrusion des syndicats du crime a été facilitée par les programmes d’ajustement structurel que les pays endettés ont été obligés d’accepter pour avoir accès aux prêts du Fonds monétaire international».

 

En Bolivie, la «nouvelle politique économique» préconisée par le FMI et appliquée en 1985 contribua à l’effondrement des exportations de minerai d’étain et au licenciement massif de mineurs par le consortium minier d’Etat Comibol. Les indemnités de licenciement versées aux travailleurs furent réinvesties dans l’achat de terres dans les zones de production de coca, provoquant un important accroissement du commerce de narcotiques. De même, le programme d’ajustement structurel et de « stabilisation économique » mis en oeuvre au Pérou par le président Alberto Fujimori provoqua des ravages.

 

«Le « Fujichoc » de 1990 (qui incluait une multiplication par trente du prix du pétrole du jour au lendemain) entraîna la destruction de la production agricole légale (café, maïs et tabac) et un développement rapide des cultures de coca dans la région du haut Huallaga».

 

Cependant, la croissance du commerce illicite ne se limite pas à l’Amérique latine ni aux triangle et croissant asiatiques de la drogue. En Afrique, la suppression des barrières commerciales et le dumping des surplus céréaliers européens et américains sur les marchés locaux ont entraîné le déclin dramatique des productions agricoles vivrières. L’autosuffisance alimentaire a été sapée.  Plusieurs pays, écrasés sous le poids de la dette extérieure, se sont tournés vers la culture du cannabis. Au Maroc, des milliers de paysans se sont mis à la culture du haschich. Ce dernier donne lieu à des échanges extérieurs illicites d’une valeur équivalente à la totalité des exportations agricoles marocaines légales. Dans plusieurs pays d’Afrique, les mafias de la drogue ont aussi réussi des percées significatives dans la politique locale.

 

«Depuis le début des années 90, les pays de l’ancien bloc soviétique ont, à leur tour, été soumis à une médecine économique de cheval par leurs créanciers extérieurs, avec des conséquences dévastatrices. La pauvreté et la désorganisation de la production favorisent l’essor de l’économie criminelle. En Ukraine, par exemple, le FMI a patronné, en octobre 1994, des réformes macroéconomiques qui ont contribué à précipiter une crise profonde de l’agriculture vivrière. Et l’Observatoire géopolitique des drogues confirme qu’avec la chute de la production de blé la culture de l’opium s’y développe rapidement. Avec le déclin de l’agriculture locale, la culture du pavot et les laboratoires d’héroïne, contrôlés par la mafia italienne de la Santa Corona Unita, ont également fait leur apparition dans l’ancienne Yougoslavie».

 

Les privatisations et les programmes de restructuration de la dette exigés par les créanciers extérieurs ont fait passer un grand nombre de banques d’Etat latino-américaines et est-européennes sous le contrôle de banques d’affaires occidentales et japonaises. En Hongrie, par exemple, la Banque internationale centre-européenne (CIB) a été achetée par un consortium de banques étrangères comprenant la Banque commerciale d’Italie, la banque allemande Bayerischer Verein, la Banque de crédit à long terme du Japon, la banque Sakura et la Société générale. La CIB a toute liberté d’intervenir dans le secteur juteux du blanchiment de l’argent, sans intervention du gouvernement et sans avoir à se plier à la réglementation et au contrôle des changes.

 

«En 1992, au Luxembourg, une affaire judiciaire confirma que la CIB avait été utilisée par le cartel de Cali pour des transferts de capitaux. Selon la brigade hongroise anti-drogue, « avec les problèmes économiques de ce pays et ses besoins de liquidités, on ne peut pas exiger du gouvernement qu’il regarde de trop près l’origine des fonds déposés dans ses banques».

 

En Bolivie et au Pérou, les réformes du système bancaire sous la tutelle du FMI ont facilité la libre circulation des devises. Ce qui, selon un observateur, « a abouti à rien moins que la légalisation du blanchiment par le système financier péruvien  ».  De surcroît, plusieurs banques privées nationales, soupçonnées d’avoir été préalablement impliquées dans les activités de blanchiment de l’argent sale, sont passées sous le contrôle de capitaux étrangers : par exemple, c’est le cas d’Interbanc, une banque d’Etat péruvienne acquise en 1994 par Darby Overseas, un consortium domicilié dans les îles Caïmans.

 

Selon le Financial Times, Darby «envisage d’investir dans le secteur des banques d’affaires péruviennes, à des taux à hauts risques, en attendant un plan Brady de restructuration de la dette. (...) Darby a été créé il y a un an [en 1994] par M. Brady [l’ancien secrétaire au trésor du président George Bush] , son assistant en chef, M. Hollis McLoughlin, et M. Daniel Marx, ancien sous-secrétaire aux finances en Argentine. (...) Le principal responsable d’Interbanc est M. Carlos Pastor, ancien ministre de l’économie du Pérou au début des années 80».

 

Les programmes de privatisation ont sans conteste facilité le transfert d’une fraction significative de la propriété publique au crime organisé. Il n’est pas surprenant que les mafias russes, qui constituent la nouvelle classe de possédants, aient été les fervents partisans du néolibéralisme ainsi qu’un soutien politique aux réformes économiques du président Boris Eltsine. On compte au total plus de

1300 organisations criminelles dans la Fédération russe. Selon une étude récente publiée par l’Académie des sciences de Russie, «le crime organisé contrôle 40 % de l’économie, la moitié du parc immobilier commercial de Moscou, les deux tiers des institutions commerciales, soit au total 35 000 entreprises, 400 banques et 150 sociétés d’Etat. Une branche de la mafia russe est impliquée dans la vente de matériel de type militaire, spatial et nucléaire, y compris des missiles téléguidés, du plutonium pour armes nucléaires et de l’armement conventionnel. Non seulement les syndicats du crime russes tiennent en laisse politiques et hauts fonctionnaires, mais ils ont aussi leurs propres représentants à la Douma».

 

Ce nouvel environnement de la finance internationale forme un terrain fertile pour la criminalisation de la vie politique. De puissants groupes de pression liés au crime organisé et agissant de manière clandestine sont en train de se déployer. Bref, les syndicats du crime exercent leur influence sur les politiques économiques des Etats. Dans les nouveaux pays d’économie de marché, mais aussi dans l’Union européenne, en Amérique du Nord et au Japon, où existe une corruption rampante, des personnalités politiques et gouvernementales ont tissé des liens d’allégeance au crime organisé. La nature de l’Etat comme les structures sociales sont ainsi en train de se transformer. Dans l’Union européenne, cette situation est loin de se limiter à l’Italie, où Cosa Nostra a quadrillé les sommets de l’Etat.

 

«Dans plusieurs pays d’Amérique latine, les cartels de la drogue ont investi l’appareil d’Etat et intégré les partis politiques en place. Le récent scandale concernant le Parti libéral de Colombie a révélé que la campagne pour l’élection du président Ernesto Samper aurait bénéficié de contributions financières substantielles du cartel de Cali. De même, les assassinats politiques au Mexique, en 1994, y compris la mise en cause de l’ancien président, M. Carlos Salinas, et de son frère Raul, en prison pour meurtre, ont mis en évidence le rôle des cartels mexicains de la drogue dans la conduite du Parti révolutionnaire institutionnel (PRI)».

Au Venezuela, les narco-mafias auraient utilisé la plus grande banque commerciale du pays, le Banco latino, pour blanchir les profits du trafic de drogue. Avant sa spectaculaire faillite en 1994, entraînant avec elle dix-neuf autres banques vénézuéliennes, le Banco latino était contrôlé par la famille de M. Pedro Tinoco, qui était aussi à la tête de la banque centrale sous le gouvernement du président Carlos Andres Perez, poursuivi pour corruption. M. Pedro Tinoco fut le principal architecte du programme d’ajustement structurel mis en place en 1988. Selon les propos d’un observateur, «les cartels de la drogue agissaient en symbiose avec les structures économiques et politiques...».

 

L’effondrement de l’activité économique légale, industrielle et agricole a précipité un grand nombre de pays en développement dans la camisole de force de la dette et de l’ajustement structurel. Il est des pays où le service de la dette excède le total des recettes d’exportations légales. Dans certaines circonstances, les revenus tirés du commerce illicite procurent une source alternative de devises qui permet aux gouvernements endettés de remplir le service de la dette. «C’est le cas des « narcodémocraties » d’Amérique latine, où les narcodollars, une fois blanchis et recyclés dans le système bancaire, pourront servir aux gouvernements pour remplir leurs obligations auprès des créanciers extérieurs. L’acquisition de sociétés d’Etat par le crime organisé, grâce aux programmes de privatisation, est tacitement acceptée par la communauté financière internationale comme un moindre mal : elle permet aux gouvernements de rembourser leurs dettes».

 

La multiplication des trafics illicites (dont le trafic de drogue n’est qu’un parmi tant d’autres) permet de transférer des sommes énormes en faveur des créanciers privés et officiels. Il y a une logique dans cette restructuration car, en dernière instance, les créanciers favorisent un système fondé sur la libre circulation de l’argent. Pour autant que le service de la dette soit remboursé, les créanciers ne font guère de distinction entre "argent propre" et "argent sale". Dans ces circonstances, selon les termes du rapport des Nations unies, «le renforcement au niveau international des services chargés de faire respecter les lois ne représente qu’un palliatif. A défaut d’un progrès simultané du développement économique et social, le crime organisé, à une échelle globale et structurée, persistera».

 

Le spécialiste Michel Chossudovsky semble commencer à être entendu, puisque la police italienne a mené vendredi 26 juillet 2013, révèle l’AFP, deux vastes opérations anti-mafia. La première à Rome et la seconde en Calabre, berceau de la 'Ndrangheta. Ces actions visent au total une centaine de personnes, dont des entrepreneurs, des avocats et même un sénateur.

A Rome, l'opération baptisée "Nouvelle aube" par opposition à "la longue nuit" que la mafia a imposée à la Ville éternelle, a permis de donner "un coup mortel à la cellule mafieuse opérant depuis des années dans la capitale", affirme la police dans un communiqué. L'opération, "l'une des plus vastes jamais conduites à Rome", a visé 51 personnes qui menaient des "activités illicites" dans la capitale même et sur son littoral à Ostie, a précisé à l'AFP un porte-parole de la police, Mario Viola. Six d'entre elles se trouvaient déjà entre les mains de la police avant l'opération tandis que toutes les autres ont été arrêtées.

 

Trafic de drogue, usure, extorsion de commerçants, contrôle du marché des machines à sous, infiltration dans les appareils administratifs pour l'octroi de logements sociaux, contrôle d'activités balnéaires sur les plages d'Ostie.... La palette des activités de ces clans était vaste.

 

Selon la police, des clans considérés comme «le saint des saints du crime romain et sicilien ont été ciblés. L'organisation était composée de deux grandes familles mafieuse, les Fasciani et les Triassi, qui sont liées à Costa nostra», la mafia sicilienne, a expliqué à la presse le chef des opérations, Renato Cortese.

 

Grâce à des écoutes téléphoniques, les enquêteurs ont pu établir comment «depuis pratiquement vingt ans, les membres des clans Fasciani et Triassi se répartissaient le territoire dans une sorte de pax mafiosa, au sein de laquelle chacun pouvait mener tranquillement ses trafics illicites. Alors que les Fasciani obtenaient le contrôle du territoire, forçant les commerçants à payer le "pizzo" (impôt extorqué par la mafia) dans la zone d'Ostie, les Triassi avaient le monopole du trafic de drogue et d'armes», a précisé Giuseppe Pignatone, chef du Parquet.

 

Les entrepreneurs qui refusaient de s'acquitter du pizzo - seulement un sur dix selon la police - étaient l'objet de violentes intimidations. Et si l'un d'entre eux n'était pas en mesure de payer, les mafieux lui "prêtaient" de l'argent à des taux prohibitifs, "l'ultime objectif étant de s'approprier le business" de la victime. Vendredi, 16 commerces - restaurants et centres de location de voitures - ont été placés sous séquestre. Les enquêteurs ont pu suivre "toutes les étapes criminelles de l'organisation mafieuse" : de l'entrée d'un nouvel impétrant aux accords entre chefs pour la répartition du territoire, en passant par les différentes réunions pour régler les problèmes nés de la gestion du territoire. Mais aussi la planification d'homicides "nécessaires pour garantir et maintenir la suprématie" sur certaines activités.

"Nous devons penser à notre avenir et celui de nos amis", dit ainsi le "boss" du clan Fasciani dans une conversation téléphonique interceptée.

 

À Rome, quelque 500 policiers ont participé à l'opération, avec un hélicoptère, des unités cynophiles et des patrouilles de la police maritime. L'opération a été menée jusqu'en Espagne avec l'arrestation d'un des chefs historiques de la famille Triassi, sur l'île de Tenerife et deux autres mafieux à Barcelone. "Ce premier coup dur" infligé à la mafia à Rome été salué par l'association Libera, qui y a vu le signe que la mafia n'est pas seulement "infiltrée, mais ancrée" dans le Latium, la région de Rome, "devenue un des points névralgiques du trafic de drogue".

 

La seconde opération, "totalement distincte", a visé 65 personnes à Lamezia Terme, dans la région de Catanzaro, en Calabre. Parmi elles, "des entrepreneurs, des politiciens et des avocats", a indiqué Mario Viola, ainsi que des médecins et des personnels de l'administration pénitentiaire. Un sénateur du parti de Silvio Berluconi, le PDL, Piero Aiello, a été placé sous enquête pour avoir "acheté" des voix aux élections par l'intermédiaire de la mafia, tandis qu'un membre du même parti, conseiller provincial et actuel vice-président de la société de gestion de l'aéroport de Lamezia Terme, a été arrêté. Outre le délit d'association mafieuse, certaines des personnes arrêtées sont accusées d'homicides perpétrés dans le cadre d'une guerre interne à la mafia, entre 2005 et 2011.

 

La 'Ndrangheta, qui trouve son origine en Calabre mais a essaimé dans le nord de l'Italie ces dernières années, est la plus active et violente des quatre organisations criminelles italiennes, les trois autres étant Cosa Nostra (Sicile), la Camorra (Naples) et la Sacra Corona Unita (Pouilles). La "brillante opération" de la police de Catanzaro "donne des frissons", a commenté Sonia Alfano, présidente de la Commission anti-mafia européenne. Pour elle, "les collusions entre mafia, politique, et milieux d'affaires constituent la véritable force des mafia. Tant que ces liens seront maintenus il sera difficile d'en sortir".

28 juillet 2013

KLEBER, LOUÉ SOIT LE MERCENAIRE

Cheveu coupé ras, joue balafrée, regard fixé sur une ligne bleue qui n’est pas forcément celle des Vosges, Kléber est un soldat de fortune. Ses débuts, il les avait faits avec les Affreux, recrutés par Moïse Tschombé, lors de la sécession du Katanga. «On a bien rigolé avec les Balubas, reconnaît-il, avec un sourire carnassier. C’est là que j’ai vraiment commencé à vivre. En Algérie c’était pas la même chose». Faut dire que les six mois qu’il avait passés dans l’OAS après qu’il eût déserté, ne furent pas d’une drôlerie irrésistible. «Le jour les troufions français, la nuit les fellouzes, tu parles d’une partie de cache-cache» !

Après ses aventures rocambolesques au Congo ex-belge, qui lui valurent de voir sa tête mise à prix par le président Kasavubu, Kléber s’est retrouvé sans emploi pendant quelques temps. Revenu en France par le chemin des écoliers, il a bouffé son pécule en trois ou quatre semaines. Beuveries, coucheries et gueuletons ont eu raison de son capital.

Se souvenant opportunément qu’il était titulaire d’un CAP de mécanicien, il a déniché un petit boulot dans le garage à Narbonne d’un ancien adjudant de paras de la Coloniale. La solidarité des combattants n’étant pas un vain mot, le juteux fermé les yeux sur toutes les âneries de son compagnon d’armes. Il n’ a tout de même pas été mécontent le jour où Kléber a été enrôlé par un ministre. En qualité de chauffeur-garde du corps et homme à tout faire. «Je suis bien content pour toi mon vieux. Ca c’est un job dans tes cordes».

Lors de la campagne électorale qui a suivi, Kléber a donné toute la mesure de son talent. Deux colleurs d’affiches du MMM (Mouvement Marxiste-Monarchiste) à l’hôpital ; une permanence du PDP (Parti Démocrate Progressiste) incendiée et dix-huit réunions électorales du FRC (Front Radical Chrétien) sabotées à coups de boules puantes ou de lancers d’essaims de guêpes. Le ministre a été ébloui par ce savoir-faire. Tellement qu’il a décidé d’envoyer son expert exercer ses talents ailleurs. «Alors Kléber, ça vous plaît la politique ? – Affirmatif mon ministre ! – Eh bien vous allez être content. Le cheikh Abdul Zorglub, souverain de Marjah, est un monarque éclairé. Il veut s’offrir une campagne électorale lui aussi. Il nous a demandé une assistance technique. On ne peut rien lui refuser il vient de nous acheter cinq centrales nucléaires et 90 Mirages. Alors je vous ai désigné. – A vos ordres mon ministre» !

Kléber a claqué les talons et s’en est allé prendre ses nouvelles fonctions. Malgré la très grande liberté dont il a disposé là bas pour organiser les opérations, Kléber s’est vite aperçu que l’intérêt de son action serait limité, compte tenu de l’absence totale de toute opposition dans cet émirat de quatre millions d’habitants.

Fort heureusement, il est tombé un soir, au bar du Hilton, sur Horst Müller, ancien sergent-recruteur de Tschombé, qui lui a annoncé l’imminence d’un coup d’état au Zurugan. «Si tu n’as pas perdu la main tu peux te joindre à nous». Kléber ne se l’est pas fait dire deux fois. Il a troqué son costume civil contre une tenue camouflée et il est parti avec Müller. Au Zurugan il a retrouvé avec plaisir les embuscades, les assauts, les corps-à-corp. Sans compter qu’il a été promu major. Avec une solde en conséquence. A laquelle se sont ajoutés naturellement droit de pillage et droit de cuissage. La belle vie quoi !

Mais les bonnes choses n’ont qu’un temps. Quand le Nabab Chatterjee eut enfin conquis le pouvoir, il fit montre de cette ingratitude qui est le propre des tyrans, en expulsant ses conseillers militaires . Müller a alors parlé à Kléber de la République de San Fernando, en Amérique Centrale. «Le colonel Martinez cherche des techniciens pour la remise en ordre des institutions. Et c’est bien payé». Kléber n’a pas hésité une seconde. D’autant plus qu’il ne connaissaît pas l’Amérique centrale. Toujours l’envie de voir du pays.

A Vaduz (Liechtenstein) où se faisait le rassemblement, Kléber a retrouvé quelques vieux copains comme l’ex-légionnaire Velichkovic, le grec Papadiamantopoulos et les frères Toricelleza, les jumeaux napolitains. La réunion de famille quoi ! Jusqu’aux Bahamas le voyage a été joyeux. Après… Pour gagner les côtes du San Fernando, il a fallu s’entasser dans de minuscules canots pneumatiques, alors que la mer était démontée.

Velichkovic a dégueulé tripes et boyaux. Probable que toute la bière qu’il avait éclusée avant d’embarquer y était pour quelque chose. Pour couronner le tout à l’arrivée, en lieu et place des hommes du colonel Martinez, ils ont été reçus par un comité d’accueil d’une centaine de barbudos du FFL (Front Fernandiste de Libération). La déveine quoi ! Et cet imbécile de Velichkovic qui n’était même plus foutu de se servir de sa Uzi. « Laissez-moi crever là » qu’il hoquetait. Si Papadiamantopoulos n’avait pas eu le réflexe de balancer deux ou trois grenades incapacitantes, les choses auraient sûrement mal tourné.

Quand les hélicos de Martinez sont enfin arrivés, ils ont embarqué tous les mercenaires. Plus trois ou quatre barbudos, encore sous l’effet des grenades. Des chefs sans doute. Les autres ont été joyeusement émasculés et zigouillés. «Voilà cent alliés de plus» a laissé tomber en rigolant le commandante Aguilar.

N’empêche que Kléber qui en a pourtant vu des vertes et des pas mûres au Katanga, au Zurugan et ailleurs a commencé à trouver les méthodes de Martinez, limites. L’âge sans doute, l’usure aussi. Voilà qu’il s’est repris à penser aux propositions faites il y a quelques mois par Sheridan, un sergent-recruteur anglais. « La solde est pas terrible d’accord, mais la bouffe est impec et l’uniforme, alors là ! – C’est quoi déjà ton armée, avait demandé Kléber appâté ? – L’Armée du Salut »…

 

28 juillet 2013

VALENTINE, LA MALADE INCOMPRISE

Qui croirait à la voir porter avec un certain charme ses quarante et quelques années, que Valentine souffre le martyre? Personne sans doute. Et pourtant… Epouse d’un maître du barreau et mère d’un garçon de 21 ans qui poursuit ses études aux Etats-Unis, Valentine consacre tous ses instants de loisirs -et ils sont nombreux- à visiter tous les experts de la chose médicale. En vain. Pas un n’a été fichu en vingt ans de déterminer avec précision le mal dont elle souffre.

Sauf peut-être ce vieux médecin de campagne, dérangé en pleine nuit, il y a deux ans, lors d’un week-end chez les Gauthier-Malard dans leur propriété de La Baule et qui lui a jeté le mot à la figure. «Hypocondriaque! Et d’un ton ma chère. Vous auriez entendu ça, vous en auriez été révoltée ».

Heureusement, tous ne sont pas comme lui. Il est des praticiens consciencieux qui ne ragardent ni au temps, ni à la dépense. Qui vous libellent une ordonnance sérieuse avec piqûres, gélules, gouttes, pilules. «Le matin au réveil, vingt gouttes de Diméthyltétracortyphenolbutazone, ensuite, avant chaque repas quatre gélules de Fancivor et trois comprimés de Mortazyl, le tout pendant vingt jours. Puis trois injections quotidiennes de Glutamorfol pendant une semaine et vous verrez que ça ira beaucoup mieux».

De fait ça va beaucoup mieux. Pendant un certain temps. Est-ce le Glutamorfol? Ou le Mortazyl? Ou le charisme personnel du médecin? Mystère. Peut-être les trois à la fois. Et puis voilà que des bribes de conversation entendues dans un salon de thé, à moins que ce ne soit la lecture d’abord distraite, bientôt attentive, de la rubrique médicale d’un hebdomadaire féminin, font éclater la vérité. Valentine souffre bien du syndrome de Finkelstein, récemment découvert par l’éminent spécialiste qui porte ce nom.

Tout y est : symptômes caractéristiques, modification de l’humeur, évolutions. Valentine sait qu’elle n’a plus à hésiter. Il lui faut rencontrer le professeur Finkelstein. Mais ce n’est pas aussi simple que ça. Finkelstein consulte bien tous les jours, mais à Canberra (Australie). Heureusement qu’Astrid, son amie vient d’apprendre que la France possédait en la personne du professeur Luciani, l’unique spécialiste européen du syndrome de Finkelstein. Luciani est chef de service à l’hôpital de la Timone, à Marseille. C’est tout de même moins loin que Canberra…

Luciani est un homme charmant. Grâce à quelques passe-droit, Valentine a réussi très vite à obtenir un rendez-vous. Après vingt minutes d’auscultation approfondie, tombe le verdict. «Décidément non Madame, vous n’avez pas le syndrome de Finkelstein. Néanmoins, pour que vous n’ayez pas fait ce long voyage pour rien, je vais vous prescrire un régime alimentaire qui fait merveille dans des cas comme le vôtre».

Valentine est très déçue de ne rien avoir de grave. Pourtant le régime du professeur Luciani la console un peu de sa désillusion. Parce que les régimes elle aime ça. Depuis qu’elle passe le plus clair de son temps dans les cabinets médicaux, elle a bien dû en expérimenter une trentaine. Sans sel, sans sucre, sans alcool, sans légumes, sans viande, sans fruits, sans eau, dissocié, rythmé, hypocalorique, hyperprotéiné, elle les a tous essayés. Sans exception. La diététique contemporaine n’a plus de secrets pour elle. Ni pour … son mari ! Le pauvre homme est passé d’une semaine entière vouée à l’ananas, à une quinzaine placée sous le signe du gruyère, avant de s’adonner aux délices du riz complet sans assaisonnement. Il a fini par comprendre. Désormais sa vie est une succession ininterrompue de repas d’affaires. Au restaurant.

Valentine sait que la santé est une chose trop sérieuse pour que l’on néglige de faire certains investissements indispensables. La visite de son cabinet de toilette personnel montre qu’elle a su investir à bon escient. Appareil pour mesurer soi-même sa pression artérielle, lampe émettrice de rayons ionisants, machine à faire travailler les abdominaux sans efforts, exerciseur pour la colonne vertébrale, cabine d’amaigrissement, rien n’y manque. Quant à son armoire à pharmacie, elle constitue un irremplaçable témoignage de la diversité d’inspiration des laboratoires français et étrangers. N’allez pas croire toutefois que l’anarchie y règne.

Valentine la gère avec méticulosité et efficience. Elle a établi sur une feuille dactylographiée un planning très précis grâce auquel elle sait par exemple qu’elle devra prochaînement éliminer les deux tubes de Morganine qui lui restent de la prescription du docteur Nguyen Gunnarsson. Pour cause de date-limite. Elle le fera méthodiquement, mais non sans déchirement. Elle préfère mille fois faire profiter un valétudinaire de ses amis de tel ou tel médicament qu’elle a personnellement expérimenté, plutôt que de le jeter le moment venu.

Valentine aime bien procéder de même avec les praticiens qui ont eu, à un moment ou à un autre, ses faveurs. Elle s’est consitué un fichier personnel où elle a inscrit les noms, adresses, et numéros de téléphone de ceux qu’elle a consultés, leur spécialité et aussi -petite innovation personnelle- la note qu’elle leur a attribuée. L’autre jour, un ami de son mari parlait des douleurs violentes qu’il ressentait dans les reins. Sans rien dire, elle est allée discrètement consulter son fichier. A la rubrique reins, elle a trouvé la fiche du docteur Coulibaly, visité trois fois en 1971. Toutes ses prescriptions y figuraient scrupuleusement, ainsi que la note attribuée à l’homme de l’art : 18 sur 20. Quelqu’un de tout à fait recommandable !

Hier après-midi, sur les conseils de Marie-Charlotte, une autre amie, elle s’est rendue à l’hôpital américain de Neuilly, à la consultation du docteur Stephen Brown. Elle a aimé l’élégance et la distinction du professeur. Elle a également souri finement quand il lui a demandé : «Avez-vous déjà vu d’autres médecins, Madame»?

28 juillet 2013

LAURENCE, LA GOUTEUSE D'HOMMES

Avocate de trente-et-un ans, bien dans sa peau (qu’elle a fort douce), Laurence assume avec une énergie peu commune son statut de femme libre. À tel point que ses collègues masculins du barreau, bâtonnier en tête, la taxent de donjuanisme. Pourtant Laurence n’est pas un Don Juan en jupons. D’ailleurs elle porte plus souvent le jean que la jupe. Non Laurence est une scientifique, fascinée par le comportement amoureux des hommes et que la séduction n’intéresse en rien.

Avec le sérieux qu’elle met à défendre les causes qu’on lui confie, elle essaie tous les mâles qui passent à sa portée. Pour pouvoir les tester tous, elle s’est toujours refusée à n’en épouser qu’un. Cette honnêteté scrupuleuse la grandit. En treize années de vie amoureuse, elle qui n’a jamais tenu de comptabilité très stricte, estime néanmoins qu’elle a dû connaître un peu plus de trois mille partenaires différents. La plupart du temps une nuit suffit. Parfois cependant il est nécessaire de de poursuivre les investigations un peu plus avant. L’expérience n’est la plupart du temps pas poursuivie au-delà du cap fatidique de la semaine. Après s’installe la lassitude.

Attention, n’allez pas déduire de son comportement que Laurence est une femme facile. Tous ceux qui se sont essayés à la draguer en ont été pour leurs frais. C’est toujours elle qui choisit. C’est toujours elle qui fait les avances. Parfois dans la précipitation, mais elle a l’excuse de l’observation scientifique. Chaque année elle consacre ses vacances à une expérimentation sur le vif, dans un pays étranger. L’été dernier par exemple, elle a visité le Japon durant quatre semaines. Elle a trouvé ça, selon ses propres termes, passionnant.

La consommation méthodique qu’elle fait des hommes, lui permet d’établir de fort intéressantes statistiques. Ainsi a-t-elle pu constater que les habitants de Kyoto ou de Yokohama faisaient preuve d’une plus grande virilité que ceux de Tokyo. En revanche, elle a vérifié que l’altitude avait aussi chez les sujets du Mikado, des effets bénéfiques. À Sapporo elle a rencontré deux guides de montagne dont les performances l’ont étonnée. Elle s’est astreinte à réediter l’expérience trois nuits de suite. Concluante chaque fois!

Masters et Johnson, les illustres sexologues américains avec qui elle a collaboré pour la plupart de leurs travaux concernant la France, lui ont demandé de venir animer un séminaire dans une université de la côte Ouest. Laurence a donc passé dix jours sur un campus californien à faire part de la somme de ses constatations à un auditoire particulièrement attentif. Parallèlement et comme elle est la rigueur scientifique incarnée, elle a continué à mener à bien ses travaux méthodologiques. Ainsi a-t-elle pu établir avec une certaine précision, la carte sexuelle de l’étudiant californien.

Lors d’un de ses voyages d’études qui l’avait conduite en Afrique Orientale, elle a pu dresser un tableau comparatif des aptitudes respectives des Masaïs et des Ashantis. Nettement à l’avantage des premiers. L’explication de cette différence lui a été fournie par un vieux sorcier rencontré dans un bidonville de Mombasa. «Racine de Matalanga» a-t-il déclaré sur un ton péremptoire, en désignant une vieille boîte de conserve rouillée, pleine d’une substance exhalant une odeur nauséabonde. Comme Laurence semblait douter de l’efficacité de la mixture, le vénérable homme de science a proposé un essai. Toujours curieuse elle a accepté. Le vieux a ingurgité une pincée de sa saloperie magique. Censure pour le plan suivant.

Depuis, en tout cas, Laurence est convaincue de l’efficacité des aphrodisiaques. Surtout primitifs. L’aventure la plus riche de son existence, c’est au Brésil qu’elle l’a vécue, il y a deux ans, pendant le Carnaval de Rio. Elle y a réussi l’exploit de consommer en une nuit tous les membres masculins de l’école de samba Jardim de Leme. Au total, quarante-quatre gaillards dans une forme physique exceptionnelle.

Laurence ne fait pas que dans l’exotisme. Elle s’intéresse aussi passionnément à ses compatriotes. Tous les ans, elle se fait un devoir de jauger les performances des jeunes avocats de la conférence du stage. Mais elle sait ne pas se cantonner dans son environnement professionnel. Statistiques obligent, elle suit de près les performances des ingénieurs et des plombiers, des agriculteurs et des médecins, des comédiens et des hommes politiques, des forts des halles et des décorateurs, des charcutiers et des facteurs de piano. Rien n’échappe à son inextinguible soif de savoir. Plus la compétition est difficile, plus elle stimulée.

Quelqu’un l’a mise au défi un jour de faire un travail sérieux sur l’épiscopat. Vingt-trois jours après, elle confessait, rayonnante, avoir inscrit sur ses tablettes un cardinal, trois évêques et un abbé mitré. «Et encore, a-t-elle soupiré, si je n’avais pas eu à plaider à Lille jeudi et vendredi, j’aurais pu assister à la conférence plénière de l’épiscopat français, ce qui m’aurait permis de peaufiner davantage encore mon enquête»…

Au fait, aime-t-elle les hommes ? Voilà une intéressante question à laquelle elle avoue ne pas être en mesure de répondre aujourd’hui. Pas encore. «Je n’ai pas entièrement fait le tour du problème. Revenez me voir dans trois ou quatre ans. Mais croyez bien que ce que je fais est un véritable apostolat. Je n’ai pas le temps de m’amuser, moi»!

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28 juillet 2013

MAXIME OU LA RECORDOMANIE

Il y a deux ans, il avait traversé en hiver le Groënland à motocyclette. Pendant deux semaines on l’avait cru perdu à jamais dans le blizzard et les tempêtes de neige. Des avions d’observation danois, auxquels s’étaient joints des Bréguet Alizé de l’Aéronavale française avaient exploré l’itinéraire supposé de Maxime. En vain. Personne sur les 1500km entre Godthaab et Thulé. Jusqu’au jour où on le découvrit, a demi-mort de froid et de faim, dérivant sur un iceberg en baie d’Hudson.

Une poignée de contradicteurs, venus l’attendre à l’arrivée de son avion à Roissy-Charles-De-Gaulle, avaient mis en doute l’authenticité de son exploit. Et surtout le fait qu’il ait pu survivre quinze jours, sans moyen de chauffage et sans subsistance, sur un bloc de glace, fut-il de la dimension d’un iceberg. Dans une conférence de presse aussitôt improvisée, Maxime avait rejeté avec dédain ces accusations et avait plaidé pour son honneur de sportif bafoué.

Trois mois plus tard, Maxime s’attaque au record mondial de la durée de vol en deltaplane. Cette fois pour éviter toute contestation sur la réalité de son geste, il s’est fait accompagner d’une équipe de télévision américaine et d’une bonne dizaine de photographes. Très bonne opération commerciale pour lui et surtout pour son sponsor les pâtes Zappini. Point d’envol, un sommet de plus de 6000m. dans la Cordillère des Andes. Après un premier départ manqué, qui lui valut quelques contusions sans gravité, Maxime touche terre 140 minutes plus tard. « Je n’ai pas fini de vous surprendre, annonce-t-il avec cette exquise modestie qui le caractérise, aux journalistes venus l’attendre à son atterrissage. Moi, ce qui me fait bander c’est le truc impossible, jamais fait ».

Décidé à ne pas s’arrêter en si bon chemin, il reprend du service l’été suivant. Avec cette fois une ambition tout autre. Rien moins que descendre les 6000 kilomètres de l’Amazone à ski nautique. Depuis sa source au lac de l’Enfant, au Pérou, jusqu’à son embouchure atlantique. Vingt jours plus tard, le contrat est rempli. Sans anicroches, si l’on excepte une chute provoquée par une souche immergée et une attaque de piranhas consécutive à cette chute.

Excellente affaire pour le fabricant japonais de moteurs hors-bord qui avait financé l’opération. Et grâce au film réalisé par sa petite amie, Maxime a pu faire pendant six mois une fructueuse tournée de conférences. Du même coup il a pu sensibliser un public déjà acquis à sa prochaîne tentative insolite : la traversée de l’Afrique d’ouest en est, de Dakar à la Somalie en montgolfière. Pour donner à cette expédition une caution scientifique, Maxime s’est associé à un zoologue allemand le docteur Gunther von Taxis, spécialiste des migrations animales et plus particulièrement de celles des éléphants et des rhinocéros.

Un botaniste anglais, Sir Alfred Littleton, le plus grand expert vivant en matière de cactées, a bien voulu se joindre à eux. La société royale britannique de botanique et la fondation Mercedes ont largement subventionné l’affaire. Elles lui ont également apporté ce sérieux et cette crédibilité qui avaient jusque là fait défaut à tout ce dans quoi Maxime s’était lancé. «Ca c’est un joli coup, avec ça je vais cesser de passer pour un charlot en mal de notoriété» a-t-il expliqué à son frère Sylvain avant de partir pour Dakar, avec tout son matériel.

A Dakar, le départ se passa dans l’enthousiasme populaire. A cette occasion le Président Macky Sall prononça un grand discours unissant aéronautes et terre d’Afrique, dans une même envolée lyrique. Les deux premiers jours furent en tous points remarquables. Le vent souffla d’ouest en est sans discontinuer. Le temps fut superbe. Maxime réussit une liaison radio parfaite avec le journal de 12h30 de RTL.

Malheureusement, le lendemain le vent tomba, condamnant le ballon à une quasi-immobilité. Ce calme eut un effet déplorable sur les passagers de la montgolfière. Littleton voulut impérativement faire descendre le ballon pour examiner des figuiers de barbarie dont la couleur lui paraissaît inédite. Von Taxis, de son côté avait repéré une femelle rhinocéros et son petit, tenait absolument à les escorter. Il y eut un échange de mots aigres-doux entre les deux hommes. Puis l’esprit scientifique reprit le dessus, lorsqu’ils constatèrent que ni l’une, ni l’autre de leurs exigences ne pouvaient être satisfaites. Ils se réconcilièrent sur le dos de Maxime, lequel n’en pouvait mais.

Huit jours plus tard, la curiosité intempestive de Von Taxis leur valut de sérieux ennuis avec des braconniers chasseurs d’ivoire. Ils firent un carton sur la montgolfière et blessèrent Littleton au pied. Ils durent se poser en catastrophe quelques centaines de mètres plus loin. Maxime répara tant bien que mal les déchirures provoquées par les projectiles, tandis que Von Taxis faisait un pansement de fortune à l’anglais.

Quand, dix-huit jours après, ils arrivèrent à Mogadiscio, Maxime jura que c’était bien la dernière fois qu’il entreprenait quelque chose autrement que seul. « Ces deux cinglés ont tout gâché ! Faut plus me parler des hommes de science. Ah non »…

D’autant qu’on vient de lui proposer un autre record saugrenu, pas fait pour lui déplaire : relier le cirque de Troumouse, au cirque de Gavarnie, à dos de lama. L’instigateur de l’entreprise pense qu’il acceptera. « C’est vrai quoi, le cirque ça le connaît » !

28 juillet 2013

EMMANUEL, OU LA GUEULE EST SON MAITRE

Emmanuel, c'est le plus phénoménal carnet d'adresses, qu'on puisse imaginer pour tout ce qui touche à la gueule. Les fonctions de directeur commercial de ce bon vivant de 44 ans, l'amènent à beaucoup voyager. Emmanuel fait toujours en sorte que le moindre de ses déplacements se transforme en promenade gourmande. Ses voyages sont toujours péparés avec une minutie extraordinaire qui ne cesse d'étonner ses amis et ses collègues. 

Sur son bureau, il fait d'abord place nette. Ensuite, il y étale une carte de France. Ordinaire. Dessus, il repère sa destination et la cercle d’un trait de crayon rouge. Puis il sort d’un tiroir une deuxième carte, réalisée par ses soins sur papier calque et la pose sur la première dont elle épouse exactement les contours. Sur cette seconde carte les noms de ville ont disparu. N’y figurent seulement que des noms d’établissements illustres. Ou de chefs célèbres. Ici Collonges s’appelle Bocuse, Roanne Troisgros, sans oublier Joël Robuchon, ou Alain Ducasse.

Les sécrétions salivaires d’Emmanuel augmentent à mesure qu’il examine le théâtre de ses prochains exploits gastronomiques. S’il aime les valeurs établies, Emmanuel a néanmoins l’esprit ouvert et disponible. A l’occasion, il ne dédaigne pas jouer les éclaireurs quand il s’agit de découvrir un talent nouveau. Si par hasard sa carte est muette    -ce qui est rare, mais possible-   Emmanuel recourt à ces ouvrages de référence que sont le Michelin ou le Pudlo.

Que de moments délicieux passés à comparer les quelques lignes consacrées par chacun des guides à tel bistrot d’Aubusson ou de Lannemezan. Que de plaisantes supputations qui seront peut-être déçues, mais qui lui auront fait passer un bon moment. Emmanuel a quelques amis, gueulards impénitents comme lui, avec qui il échange, comme s’il s’agissait de secrets d’Etat, des adresses de bonnes tables discrètes, de fournisseurs de foie gras ou de propriétaires-récoltants du Bordelais ou de Bourgogne. Parfois la tentation est grande de conserver jalousement, pour soi tout seul, le nom de tel ou tel bouchon où l’on aura eu la joie de faire un repas superbe pour un prix d’avant-guerre. Mais le bon sens et le désir de surprendre agréablement ses amis l’emportent. Sans compter que dans l’opération il pourra sans doute récupérer lui aussi une bonne adresse.

Au nombre de ses lectures favorites figurent les Ecrits de Grimod La Reynière et le œuvres complètes du grand Escoffier. Ils fait aussi son régal de chroniqueurs comme François Simon, du Figaro, ou Jean-Claude Ribaut du Monde dont les livraisons hebdomadaires l’enchantent. Pourtant, dans la vie de cet homme apparemment heureux, il y a une déchirure. Emmanuel n’a jamais réussi à se déterminer par rapport à la nouvelle cusine. Tantôt il est entièrement pour comme le soir où il a dégusté à Brest cette barbue à la vapeur d’algues. Tantôt il est furieusement contre comme lorsqu’à Mâcon, on lui a servi des ris de veau à la crème de betteraves et aux verrines de pois cassés .

Autant il est lyrique quand son palais a été agréablement diverti, autant son vocabulaire se fait agressif quand il estime avoir été floué. Comme pour les ris de veau. «Ce sont des inventions tout juste bonnes pour des Japonais ou des Américains. On pourra même leur servir ça avec du Coca Cola s’ils le veulent». La maturité venant, Emmanuel a organisé sa vie en fonction de son désormais seul plaisir. Tous les autres, il les a éliminés les uns après les autres. La bagatelle ne l’intéresse plus. Si tenté soit-il qu’il lui ait un jour trouvé des attraits. D’autant qu’avec le tour de taille imposant qu’il arbore maintenant, tous les efforts de séduction qu’il pourrait tenter resteraient vains. Il n’a jamais trompé sa femme qu’avec Alain Senderens ou Michel Guérard.

Il ne va plus au cinéma, ni au théâtre. Le seul spectacle auquel il assiste chaque année est le Salon des Arts Ménagers où il vient découvrir ce que la technique moderne a apporté coome innovations en matière d’ustensiles de cuisine. Il faut dire qu’Emmanuel adore se mettre derrière ses fourneaux, pour mitonner quelques-unes des recettes qui ont fait sa gloire dans son petit cénacle d’amis. On ne se lasse  pas de le regarder officier, semblable au chirurgien dont il a la précision du geste. Sa femme qui l’assiste, joue le rôle de l’infirmière. «Aiguille à brider, commande-t-il d’une voix calme et ferme ! Couteau à désosser !  Noix de muscade ! Râpe» !

Tout à l’heure, ses invités se régaleront. Les compliments pleuvront. Emmanuel les recevra avec la modestie qui est la marque du génie vrai. Habilement, quand il estimera que ça suffit, il saura détourner la conversation. «Tiens goûtez-moi plutôt ce romanée-conti 49. Somptueux n’est-ce pas. Hélas, il ne m’en reste plus que quatre bouteilles».

L’an prochain, il a prévu d’aller passer ses vacances dans le Gers. En septembre, il ira s’initier dans une ferme amie à la préparation du foie gras et du confit de canard. Ses moments de liberté, il les passera à traquer les producteurs d’armagnac, pour dénicher la grande bouteille, celle qui arrachera des cris d’admiration à ses hôtes. Fouineur comme il l’est, il va peut-être dénicher le dernier élevage de veaux de lait, digne de ce nom. De table d’hôte en restaurant, de bistrot en auberge. Emmanuel perfectionne sa culture gastronomique. Pour bien mériter la devise qu’il s’est choisie : « l’homme n’est qu’un apprenti et la gueule est son maître »!

28 juillet 2013

EMMA, MILITANTE FÉMINISTE

« Nous sommes en guerre ! Je vous assure que nous sommes en guerre » ne cesse de répéter Emma à qui veut l’entendre. Militante féministe de la première heure, elle entame sa dixième année de combat contre l’innommable. Autrement dit le sexe masculin. Jusqu’à vingt ans, elle n’avait pas eu conscience de la situation de soumission dans laquelle elle était placée du fait des hommes.

Mieux que ça, la gourde ne trouvait pas désagréable du tout qu’un homme s’efface pour la laisser passer, qu’il lui porte ses paquets, lui propose l’abri de son parapluie, lui ouvre la portière de son automobile, ou l’invite à dîner. Dieu merci, depuis elle a fait la connaissance de Myriam à la faculté de lettres. Myriam lui a rapidement fait comprendre qu’un tel comportement l’assimilait à une collabo. Elle lui aussi expliqué que la galanterie était la forme la plus ignoble que pouvait revêtir l’oppression masculine. Là-dessus elle lui a donné à lire quelques bons auteurs du Women’s Lib et du MLF.

Comme Emma venait de se faire plaquer par son petit ami, elle a lu ces livres d’un œil beaucoup plus compréhensif. Elle y a découvert des choses qu’elle sentait confusément mais que jusque-là elle avait été incapable de formuler de façon précise et concrète. Elle y a également beaucoup appris. Des choses qu’on ne soupçonnait pas sur la duplicité des hommes et sur les formes insidieuses que pouvait revêtir le colonialisme masculin.

Ainsi a-t-elle compris que quand un type lui payait un verre dans un bistrot, c’était une manifestation caractéristique de la volonté d’asservissement qui habite le sexe opposé. Ces premières lectures terminées, Myriam et deux autres copines l’ont prise sérieusement en main. Dans tous les sens du terme. «Faut être conséquente ma vieille. Maintenant que tu es une militante de la cause féminine, tu peux plus faire de parties de jambes en l’air avec un mec. T’aurais l’air de quoi» ? Bon gré, mal gré, il lui a fallu s’initier au saphisme. C’est une sœur moustachue, grande consommatrice de bières en boîtes et sentant aussi fort qu’un fantassin retour de manœuvre, qui l’a intiée. Emma a regretté la peau douce, l’odeur de citronnelle et les manières raffinées de Didier, son ancien flirt. Et autre chose…

La première fois qu’elle a participé à une manif avec pancartes et mégaphones, elle a bruquement senti le ridicule de la chose. Mais Myriam l’a rapidement sortie de cet état d’égarement et a su la regonfler à bloc. Si bien que, quand il y a eu des frictions avec les forces de l’ordre, Emma n’a pas donné sa part aux chiens. Pour avoir mordu un brigadier de CRS au mollet gauche, elle a été placée en garde à vue pendant 48 heures. Quand elle a été libérée, elle était devenue une héroïne. La Jeanne d’Arc du féminisme! Toutes les militantes qui l’attendaient à la sortie, lui ont fait une ovation gigantesque et l’ont portée en triomphe. Même que Myriam en a été un peu jalouse.

Là-dessus, la directrice du quotiden Lutte Féminine, lui a offert la chronique judiciaire de son journal. L’image d’Emma a encore grandi à partir du moment où elle est devenue la spécialiste de la contestation publique aux hommes politiques. En période éléctorale, la télévision a montré à de nombreuses reprises l’ardente suffragette. On l’a vue coupant la parole d’autorité à Hollande, dans un meeting en Corrèze. On l’a entendue ensuite lancer des quolibets à Manuel Valls, au cours d’une conférence de presse. Mieux, c’est elle qui, dans dans son fief de Troyes, a envoyé une bouteille de ketchup, à la tête de François Baroin. C’est enfin elle, qui a Evry, a été expulsée manu militari d’une réunion, par les gorilles de Mélanchon.

Sa stature internationale, elle l’avait déjà acquise à Ottawa, autrefois lorsqu’elle avait giflé le très séduisant Pierre-Elliot Trudeau. En revanche, elle a connu une sérieuse déception lorsqu’elle a été refoulée à l’aéroport de Tripoli, alors qu’elle avait décidé de venir en aide aux femmes libyennes, en portant la contradiction à feu le colonel Khadafi. Aujourd’hui, c’est sur la scène mondiale qu’elle a décidé de jouer son rôle. La France est devenu un théâtre trop petit pour elle.

Récemment, à Genève, il lui est arrivé une singulière mésaventure. Venue dans la Confédération helvétique pour orchestrer un scandale lors de l’assemblée plénière du Bureau International du Travail, jugé beaucoup trop sexiste, elle a fait la connaissance d’un journaliste italien de Florence. Macho comme il n’est pas permis. Et content de l’être par dessus le marché. Par curiosité, elle a accepté de discuter avec ce primate. Bercée par sa voix chaude, elle s’est surprise par deux fois à admirer ses yeux verts. Elle s’est heureusement ressaisie à temps. Mais ses bonnes résolutions n’ont pas tenu, quand il l’a invitée à dîner le soir même. Est-ce le champagne, la bonne chère, la musique ou le charme transalpin (ou les quatre à la fois) toujours est-il qu’elle s’est laissée embrasser par le bel italien.

Le lendemain, quand les délégations des mouvements féministes britannique, allemand et français, sont arrivées au BIT pour leur grande opération de contestation publique, pas d’Emma au rendez-vous. Emma faisait une promenade en canot sur le lac Léman. Languissament allongée au fond de l‘embarcation et la tête amoureusement posée sur les genoux de son rameur florentin…

28 juillet 2013

VINCENT, COMEDIANTE, COMEDIANTE

Vincent est ce que l’on a coutume d’appeler un acteur de complément. Plaisant euphémisme pour désigner l’un de ces troisièmes couteaux dont personne ne saura jamais le nom, mais que l’on repère périodiquement ça et là. Au théâtre, en cadet de Gascogne dans Cyrano de Bergerac, au cinéma dans le dernier film de Cedric Clappiche, dans l’opérette en figurant du Chatelet.

Vincent court le cachet, comme d’autres le guilledou. Pourtant il a une gueule, de la prestance et une diction recherchée. Toutes choses qui font que chaque matin, devant sa glace, au moment de se raser, ils demande pourquoi, à 45 ans, il n’a pas son nom en caractères gras sur les affiches, à côté de ceux de Jean Dujardin, Depardieu ou Guillaume Canet.

Comédien il l’est pourtant. Jusqu’au bout des ongles. D’ailleurs c’est simple, il est toujours en représentation. Que ce soit quand il bassine au téléphone un producteur, ou quand il commande une francfort-frites dans un snack. «Nous les gens du spectââââcle nous nous devons à notre public» n’a-t-il pas peur de dire. Si par hasard, dans un compartiment de 2ème classe, quelqu’un le dévisage un peu plus longtemps que la décence le voudrait, il se sent moralement obligé de faire l’acteur. Un peu plus.

La saison dernière a été pour lui exceptionnelle. Il a fait simultanément le beau-frère de Spiderman dans un spectacle à l’Olympia, un chauffeur de taxi dans un feuilleton radiophonique et la voix d’une tortue dans une série de dessins animés japonais. « Surchargé mon vieux ! Complètement surchargé ! Mais c’est ça le métier. Quand le public te réclame »…

Aujourd’hui, il déborde d’enthousiasme. Songez donc qu’il vient de signer un contrat mirifique avec l’agence Intox. Quarante films      publicitaires! Pour un nouveau yaourt goût malgache. «La chance de ma vie Coco, a-t-il affirmé à son vieux pote Fernand. Je pars pour un tour du monde de six mois. Tournage aux Seychelles, à Bangkok, à Rio, à San Francisco et dans deux ou trois autres patelins que j’ai oubliés. Et en vedette ! C’est moi qui vais interpréter le rôle de Superyaourtman, un justicier interplanétaire qui arrive toujours au bon moment et qui règle tout en deux coups de cuiller de yaourt. Non mais tu te rends compte, quarante films ! Et attention pas des 15 secondes ou des 30 secondes, non ! Carrément des 60. Des longues durées quoi ! Je me suis laisser dire que Kad Merad en était malade de jalousie… Entre nous, j’l’avais pas trouvé excellent dans Namie Mova. Il en faisait trop».

Après peut-être pourra-t-il postuler avec succès pour le Nestor du meilleur interprète de film publicitaire au festival du Puy. En 1997, malgré l’exceptionnelle qualité de son jeu dans les cinq films pour la lessive Splash Superdécrassante, il avait manqué le Nestor d’une voix. «Evidemment, Elie Semoun a voté contre moi. Tout ça pour pistonner ce ringard de Boris Barine. J’sais pas si tu l’as vu dans les sardines du Golfe, mais quelle nullité» !

En vitesse, il se dépêche de finir son sandwich, avale son café et se pécipite dans un studio de post-synchronisation. On l’y attend pour doubler un nain dans une co-production italo-mexicano-germano-montenegrine. Le premier jour, histoire de s’affirmer, il a grommelé « je voudrais bien savoir pourquoi on n’a pas proposé ça à Passepartout, plutôt que de me le demander à moi qui mesure 1,85m »? Mais comme le commanditaire de l’opération a persiflé «si tu te sens trop grand pour le rôle, t’as qu’à aller te faire voir ailleurs» il a laissé tomber et enregistré ses répliques.

Demain, on le verra en M. Loyal dans une grande surface où il fera de l’animation au rayon charcuterie ou produits de beauté. « Crevant, mais excellent pour mon image de marque. A propos, faudra que je pense à me faire refaire des photos, j’arrête pas de dédicacer ». Sans compter qu’il y a parfois des à-côtés agréables. La dernière fois qu’il a fait le gugusse dans un hypermarché on lui a offert en plus de son cachet, une perceuse électrique, un gigot et une paire de pantoufles. Et, en prime il a emballé une caissière…

Il y a aussi des périodes de vaches maigres . Faire le pied de grue à la caisse des congés-spectacles, ou battre la semelle en hiver à la porte des studios de Boulogne, dans une queue qui n’en finit pas, n’a rien de drôle. Ce qui sauve Vincent, c’est la haute idée qu’il se fait de son métier. «Faut savoir souffrir pour son art Coco»! Possé par la nécessité, il a un jour été contraint de tourner dans un film porno. Le pire pour lui ça a été de recommencer cinq fois une scène de copulation avec une sexagénaire particulièrement défraichie. «Déjà que la première fois j’avais la gerbe»… Dieu merci pour Vincent, cette production n’a pas altéré son image, car destinée exlusivement au marché arabe.

La semaine prochaîne, il doit tourner pour la télévision. Dans un Maigret. Un rôle passionnant, plein d’intensité. Celui d’un riche et célèbre antiquaire. Un seul ennui, il est assassiné dès la troisième minute. «Tu sais, on peut en faire passer des choses en trois minutes. Je suis sûr que je serai aussi bon que Bruno Cremer. Peut-être même meilleur après tout. Dis donc tu voies pas qu’on me remarque plus que lui» ! Fernand n’a rien répondu. Il s’est contenté de hocher la tête d’un air entendu.

28 juillet 2013

BALTHAZAR OU L'ART COMME UNE DÉRISION

Pour ne pas connaître Balthazar, il faut vraiment y mettre de la mauvaise volonté. Il est l’artiste contemporain le plus célèbre. En tout cas, il a réussi à en persuader le plus grand nombre de gens. Et ce qui pour lui le plus utile, l’ensemble des médias : télévision, radios, magazines, journaux. Ce quinquagénaire illustre a un sens aigu des relations publiques. Ce n’est pas le moindre de ses talents. Né à l’art de façon tout à fait fortuite, cet ancien agent d’exploitation de la poste a pour principe d’incendier tous les académismes.

En ce début du XXIème siècle, il a compris une chose capitale : les bobos déboussolés sont prêts à applaudir à n’importe quelle ineptie, si grande est leur terreur de paraître rétrogrades. Quand on a eu des grands-parents suffisamment bornés pour louper le coche de l’impressionnisme, on a nulle envie de rééditer un exploit aussi stupide ! Alors Balthazar s’en donne à cœur joie… L’élément fondamental de son art c’est sa propre vie. Il en est le metteur en scène talentueux.

Le mois dernier, il a autorisé -moyennant de substantielles royalties- une équipe de télévision coréenne, à le filmer pendant 24 heures non-stop. Y compris durant les neuf heures qu’il a passées à dormir. «Un moment capital pour mon inspiration. Celui pendant lequel mon inconscient est le plus créatif». La chaîne de Seoul a du s’engager à diffuser intégralement ces neuf heures de sommeil. Tout comme les dix-sept minutes qu’il a passées sur le siège des w.c., les cinq biscottes beurrées qu’il a trempées dans son chocolat et la demi-heure durant laquelle il a barboté dans sa baignoire en compagnie d’un canard en celluloid.

«L’acte seul est art» se plaît à dire Balthazar, toutes les fois qu’il s’apprête à livrer en pâture à un public ébahi l’une de ces manifestations bizarres dont il a le secret. C’est lui par exemple qui s’est fait apporter, sur la table de Corinne de Las Bolas, nu, couvert de ketchup des pieds à la tête, sandwiché entre les deux moitiés d’un pain rond géant, clamant à tous les gogos «Je suis le hamburger le plus érotique du monde. Qui m’aime me mange»!

C’est lui encore qui a mobilisé une galerie parisienne de la rive gauche pour y exposer son électrocardiogramme, son électroencéphalogramme, ses analyses de sang et d’urine. Les deux cents invités triés sur le volet et qui avaient été conviés au vernissage, ont tous crié au génie. Et Romain Sliwovice-Lambert a pu écrire dans Arts que «l’hyperdistanciation brechtienne du signifiant atteignait ici au sublime». On l’a vu encore au musée Léopold de Bruxelles, faire brûler ses vêtements et ses chaussures, et en vendre l’instant d’après, les cendres emprisonnées dans des cubes de plexiglas, tous signés et certifiés exemplaire unique.

Les ressources de Balthazar sont inépuisables. L’autre jour il a dédicacé des côtes de veau dans une boucherie. Il en a coûté une majoration de 500%, aux amateurs d’art carnivores. L’avant-veille, il avait signé la girafe du zoo de Bordeaux, puis vendu les photographies qu’il avait faites.

New York l’attend le mois prochain avec impatience.. Il doit emmailloter l’Empire State Building dans une gigantesque bande Velpeau de 217 kilomètres de long, tissée pour la circontance par la plus grande fabrique américaine de pansements. Au préalable il aura copieusement aspergé le gratte-ciel de mercurochrome. Par ce geste, qui a déjà soulevé l’enthousiasme de l’intelligensia new-yorkaise, Balthazar entend attirer l’attention du monde sur ce qu’il appelle «l’agonie du capitalisme»… Une agonie que dans le tréfonds de lui-même, il souhaite voir se prolonger le plus longtemps possible. Car, et ça n’est pas l’une des moindres contradictions du bonhomme, Balthazar vit aux dépens du capitalisme. Sans vergogne. Il ne crache pas sur le fric, le somptueux mas qu’il s’est offert à proximité de Saint Paul-de-Vence en témoignerait s’il en était besoin. «Et alors quoi, s’ils sont assez cons pour payer»!

L’incursion récente qu’il a faite dans un pays où l’art ne se conçoit que dans l’optique du réalisme socialiste, l’a douché. L’idée que pourtant il trouvait géniale, de répandre sur la Grande Muraille de Chine une monumentale omelette de 30 000 œufs, a été jugée très sévèrement par les autorités culturelles du pays. Un long communiqué, en forme de fin de non-recevoir a proprement démoli le projet de Balthazar. Il a été question, à propos de son art de «révisionnisme bourgeois», de «décadence occidentale» et «d’intellectualisme dégoûtant».

Balthazar n’en est pas encore revenu. N’empêche qu’il pense de plus en plus que les pays capitalistes sont les seuls où il puisse exercer impunément -et fructueusement- sa coupable industrie. Ces basses attaques n’ont heureusement pas entamé sa créativité. Balthazar fourmille d’idées. Quand il sera revenu de New York, où on l’aura plébiscité, il s’attaquera à deux projets qui lui tiennent à cœur depuis longtemps. D’abord jeter six cochons vivants du troisième étage de la tour Eiffel, pour stigmatiser la société de consommation. Ensuite se présenter à l’élection présidentielle, afin d’utiliser les médias -et surtout la télévision- pour réaliser quelques happenings saugrenus qui plongeront la France profonde dans des abîmes de stupeur.

«Tu sais que j’ai déjà 240 signatures assurées»! Nul doute que ce sera la campagne la plus insolite qu’on puisse imaginer. Quelque chose qui tranchera sur le discours politique conventionnel. «On va sûrement bien se marrer» disent ses amis. «Oui mais, assure Estelle Martin-Duval, si jamais il était élu »…

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