Une mystérieuse Miss Harper, qui publie sur Web-Libre Org, donne une définition de toutes les mafias, qui paraît exhaustive. Grâces soit rendues à cette jeune personne qui semble tout savoir de ces organisations criminelles : «Si aujourd'hui les organisations mafieuses sont réparties un peu partout dans le monde, l'origine de la toute première remonte en 1282. A l'époque, la France, dirigée par Charles d'Anjou, domine la Sicile. Dès lors, les paysans veulent être libérés et créent une armée secrète. Ils crient : « Morte Alla Francia Italia Anela », (mort à la France, crie l'Italie). Voilà comment serait né le mot MAFIA. Pourtant les historiens ne sont pas toujours d'accord quant à l'étymologie de ce mot ».
Au début de sa création, la Mafia a des buts légitimes. Les organisations secrètes d'anciens soldats et de brigands décident de faire régner l'ordre au nom de la liberté. Mais au fil du temps, il est impossible d'ouvrir un commerce sans verser un tribut à la Mafia. A la fondation du royaume d'Italie, les gabelloti représentent le groupe le plus puissant lorsqu'ils entrent au sein de la Mafia. Dès lors, les objectifs changent et se tournent vers le banditisme. Au XXème siècle, Don Vito Gascio Ferro dirige la mafia. L'organisation est si puissante qu'elle devient un Etat dans l'Etat. Mais la Mafia est très mystérieuse.
Elle organise des rites initiatiques dont la symbolique est médiévale dans des lieux tenus secrets. Chaque membre est lié comme les doigts de la main. La main est d'ailleurs devenue l'emblème de la Mafia. Mais chacun vit sous la loi du silence que nul ne peut bafouer sous peine de mourir. C'est à travers la fraternité, les symboles et le secret que l'on peut voir de la franc-maçonnerie dans la Mafia. La Mafia est si puissante, que ce soit politiquement ou financièrement qu'elle est crainte par le gouvernement officiel.
« C'est en 1920 que Mussolini tente de l'anéantir. Nombreux sont alors les mafiosi qui s'expatrient aux Etats-Unis et plus particulièrement à Chicago dont ils vont en faire la capitale du crime. Toujours aussi conservatrice et traditionaliste, la mafia se regroupe à nouveau, sous l'autorité d'un patron américain, Frankie Yale. De plus en plus violente, la Mafia achète les hommes et force leur conscience, depuis le plus modeste policier jusqu'au grand magistrat. Un des maires de Chicago, entre 1920 et 1930, Bill Thompson est dévoué à Al Capone, le plus connu des chefs mafieux. Al Capone, en outre, règne en maître à l'époque de la Prohibition (loi qui interdisait la consommation d'alcool aux Etats-Unis). Des distillateurs siciliens, en effet, produisait l'alcool qu'Al Capone revendait ensuite. Mais chaque dirigeant d'une mafia a sa spécialité. C'est pourquoi, après Al Capone il y eut, par exemple, Lucky Luciano, spécialiste des stupéfiants, puis Franck Costello, le maître des jeux qui avait le monopole des machines à sous de Las Vegas ».
Mais la mafia, outre sa violence, a participé à des chapitres importants de l'Histoire, notamment dans le débarquement allié en Sicile, en 1943. Lucky Luciano, alors en prison, a été sollicité par Roosevelt. Ce dernier lui promit sa libération s'il ordonnait à la Mafia d'apporter une aide armée aux alliés. De nos jours, la mafia est toujours aussi puissante.
Aux Etats-Unis, la Mafia emploierait des centaines de milliers de personnes. Dans la littérature, la Mafia est une source inépuisable. On pense par exemple à Scarface, de Howard Hawks, sans oublier que la Cosa Nostra (mafia sicilienne, qui est la plus importante organisation criminelle au monde) a inspiré les Bootleggers de Kenneth Allsop. Bien évidemment, on ne saurait oublier le Parrain de Mario Puzzo, adapté ensuite au cinéma par Francis Ford Coppola.
Mais la Mafia n'est pas seulement italienne. On trouve, notamment, la mafia corse qui s'étend jusque Marseille, sur toute la région PACA, en Afrique, dans les Antilles et même en Amérique du Sud. La mafia russe (Organizatsia ou Mafia Rouge), quant à elle, est divisée en plusieurs organisations (tchétchène, géorgienne, ukrainienne...) dont chacune est dirigée par un parrain. Puis, la mafia albanaise est considérée comme la plus violente au monde. Pour terminer, la mafia japonaise, que l'on appelle les yakuzas japonais, est établie dans les régions d'Osaka et de Tokyo. Leur chiffre d'affaire est basé sur le racket des chefs d'entreprise et sur l'industrie du sexe. Il existe bien d'autres organisations dans le monde qui ne sont pas prête de diminuer leur influence...
Michel Chossudovsky, un universitaire canadien (né en 1946) commence à sonner le tocsin devant la menace grandissante de tous ces groupes malfaisants. Réunis récemment à Genève, sept juges européens, dit-il, lancent un appel angoissé à la coopération entre les gouvernements pour tenter de contenir une menace mortelle pour les démocraties. Dans un gigantesque partenariat, le crime organisé, appuyé par les pouvoirs politiques et les multinationales de la finance et des affaires, pénètre progressivement tous les secteurs de l’économie mondiale, imposant ses systèmes de corruption en se jouant de la légalité des Etats. Lesquels se laissent peu à peu grangrener.
«À l’ère de la mondialisation des marchés, le rôle du crime organisé dans la marche de l’économie reste méconnu. Nourrie des stéréotypes hollywoodiens et du journalisme à sensation, l’activité criminelle est étroitement associée, dans l’opinion, à l’effondrement de l’ordre public. Tandis que les méfaits de la petite délinquance sont mis en vedette, les rôles politiques et économiques ainsi que l’influence des organisations criminelles internationales ne sont guère révélés à l’opinion publique».
Les sanglants affrontements entre gangs rivaux dans les rues de Chicago appartiennent à la « belle époque » des années 30. Dans la période d’après-guerre, les syndicats du crime ont progressivement gagné en respectabilité, en se comportant de plus en plus en entreprises ordinaires. Depuis lors, le crime organisé est solidement imbriqué dans le système économique. L’ouverture des marchés, le déclin de l’Etat-providence, les privatisations, la déréglementation de la finance et du commerce international, etc., tendent à favoriser la croissance des activités illicites ainsi que l’internationalisation d’une économie criminelle concurrente.
Selon l’Organisation des Nations unies (ONU), les revenus mondiaux annuels des organisations criminelles transnationales (OCT) sont de l’ordre de 1 000 milliards de dollars, un montant équivalent au produit national brut (PNB) combiné des pays à faible revenu (selon la catégorisation de la Banque mondiale) et de leurs 3 milliards d’habitants.
«Cette estimation prend en compte tant le produit du trafic de drogue, des ventes illicites d’armes, de la contrebande de matériaux nucléaires, etc., que les profits des activités contrôlées par les mafias (prostitution, jeux, marchés noirs de devises...). En revanche, elle ne mesure pas l’importance des investissements continus effectués par les organisations criminelles dans la prise de contrôle d’affaires légitimes, pas plus que la domination qu’elles exercent sur les moyens de production dans de nombreux secteurs de l’économie légale. De plus, de nouvelles relations se sont établies entre les triades chinoises, les yakuzas japonais et les mafias européennes et américaines. Plutôt que de se replier sur leurs activités traditionnelles et de les protéger, ces organisations se sont associées « dans un esprit de coopération mondiale » orienté vers « l’ouverture de nouveaux marchés » dans les activités tant légales que criminelles».
Selon un observateur, « les performances du crime organisé dépassent celles de la plupart des 500 premières firmes mondiales classées par la revue Fortune (...) avec des organisations qui ressemblent plus à General Motors qu’à la Mafia sicilienne traditionnelle (3) ». Selon le témoignage, cité par l’agence Reuter, du directeur du Federal Bureau of Investigation (FBI), M. Jim Moody, devant une sous-commission du Congrès des Etats-Unis, les organisations criminelles russes «coopèrent avec les autres mafias étrangères, y compris les mafias italiennes et colombiennes (...) , la transition vers le capitalisme [de l’ancienne Union soviétique] offrant de nouvelles occasions vite exploitées».
Parallèlement, les organisations criminelles collaborent avec les entreprises légales, investissant dans une variété d’activités légitimes qui leur assurent non seulement une couverture pour le blanchiment de l’argent mais aussi un moyen sûr d’accumuler du capital en dehors du domaine des activités criminelles. Ces investissements sont essentiellement effectués dans l’immobilier de luxe, l’industrie des loisirs, l’édition et les médias, les services financiers, etc., mais aussi dans les services publics, l’industrie et l’agriculture.
Durant le boom spéculatif des années 80, les yakuzas japonais ont investi massivement dans la construction et le développement urbain, finançant leurs activités par l’intermédiaire des jusen (ces sociétés de prêts immobiliers récemment tombées en faillite avec l’écroulement du prix des terrains à Tokyo). La Mafia italienne investit aussi bien dans l’immobilier urbain que dans les terres agricoles. En Thaïlande, des milliards de dollars du trafic d’héroïne du « triangle d’or » ont été recyclés et canalisés dans le financement de l’industrie textile de Bangkok par des confréries d’entreprises et des sociétés secrètes.
Les triades chinoises orientent également des fonds vers l’industrie cinématographique de Hongkong. Elles investissent aussi dans des entreprises industrielles associées à risques partagés (joint-ventures) dans les provinces chinoises de Guangdong et de Fujian ainsi que dans la zone économique spéciale, la zone franche, de Shenzhen. Leur chiffre d’affaires mondial est estimé à 200 milliards de dollars, soit plus de 40 % du PNB chinois. Les produits de l’activité criminelle sont déposés dans le réseau bancaire. A leur tour, les banques commerciales utilisent ces dépôts pour financer leurs activités de prêt et d’investissement dans l’économie tant légale que criminelle. L’argent sale est également canalisé vers des investissements respectables sur les marchés financiers ; une part de la dette publique est détenue par des organisations criminelles sous forme d’obligations et de bons du Trésor.
«Dans beaucoup de pays, les organisations criminelles sont devenues les créanciers de l’Etat et exercent, par leur action sur les marchés, une influence sur la politique macro-économique des gouvernements. Sur les places boursières, elles investissent également dans les marchés spéculatifs de produits dérivés et de matières premières. Les mafias ont effectué des investissements significatifs dans les banques d’affaires, qu’elles contrôlent en partie, les sociétés de courtage et les grands cabinets juridiques. Pour blanchir l’argent sale, le crime organisé utilise certaines des plus grandes banques américaines aussi bien que les sociétés d’investissement ou celles spécialisées dans les ventes d’or et de devises».
Bien que de nombreuses affaires de blanchiment bancaire soient clairement identifiées, les inculpations se limitent toujours aux employés subalternes. Très peu de banques ont été poursuivies. En 1994, par exemple, un jugement du tribunal de Houston, au Texas, condamna la banque internationale American Express à une amende de 7 millions de dollars et à 25 millions de dollars de pénalités pour avoir été mêlée à une affaire de blanchiment d’argent sale. « L’affaire American Express est venue de l’inculpation de deux directeurs de banque de Beverly Hills (Californie), coupables de blanchir des fonds à partir de comptes American Express contrôlés par des dépôts anonymes issus de sociétés-écrans établies dans les îles Caïmans. Pour arriver à un règlement de l’affaire, les agents fédéraux durent renoncer à poursuivre American Express. Nous avons décidé qu’il n’était pas certain que la banque soit impliquée dans l’activité criminelle, commenta l’assistant du procureur, David Novak, elle ne concernait qu’un département. »
C’est dans les paradis fiscaux que les syndicats du crime sont en contact avec les plus grandes banques commerciales du monde, leurs filiales locales spécialisées dans le private banking offrant un service discret et personnalisé à la gestion de comptes à haut rendement fiscal. Ces possibilités d’évasion sont utilisées aussi bien par des entreprises légales que par les organisations criminelles. Les progrès des techniques bancaires et des télécommunications offrent de larges possibilités de faire rapidement circuler et disparaître les profits des transactions illicites.
«L’argent peut facilement circuler par transfert électronique entre la société-mère et sa filiale enregistrée comme une société-écran dans un paradis fiscal. Des milliards de dollars provenant des établissements gestionnaires de fonds institutionnels (y compris les fonds de pensions, l’épargne des mutuelles et les fonds de trésorerie) circulent ainsi, passant tour à tour sur des comptes enregistrés au Luxembourg, dans les îles Anglo-Normandes, les îles Caïmans, etc. Conséquence de l’évasion fiscale, l’accumulation, dans les paradis fiscaux, d’énormes réserves de capitaux appartenant à de grandes sociétés est aussi responsable de l’accroissement du déficit budgétaire dans certains pays occidentaux. L’ampleur du phénomène est impressionnante. Il existe quelque cinquante-cinq paradis fiscaux dans les principales régions du monde».
A elles seules, les îles Caïmans constituent le cinquième centre bancaire mondial avec plus de banques et de sociétés enregistrées que d’habitants. Des capitaux considérables, provenant d’activités légales et criminelles, sont aussi déposés aux Bahamas, dans les îles Vierges britanniques, aux Bermudes et à Saint-Martin, pour ne rien dire des places du Pacifique et de l’océan Indien, avec Vanuatu, les îles Cook et l’île Maurice.
«La banque d’affaires américaine Merrill Lynch estime au minimum à 3 000 milliards de dollars la fortune privée gérée depuis les paradis fiscaux, soit 15 % du PNB mondial. Mais, la plus grande partie étant déposée dans des comptes couverts par un secret bancaire rigoureux, la masse réelle des capitaux serait sensiblement plus importante. La Suisse reste le paradis préféré, avec plus de 40 % du total sur les comptes à numéro ouverts dans les banques aux non-résidents. Car les paradis bancaires ne se limitent pas aux nombreuses républiques de pacotille des îles tropicales : les mêmes facilités sont bien établies et protégées en Europe occidentale - au Luxembourg, en Suisse, dans les îles Anglo-Normandes, à Dublin, Monaco, Madère, Gibraltar, Malte... Les paradis fiscaux constituent un prolongement du système bancaire occidental, les comptes y étant accessibles par un terminal d’ordinateur, voire par l’entremise d’une carte Visa au guichet automatique, n’importe où dans le monde».
Avec la déréglementation, ils font intégralement partie du marché financier mondial. Les affaires légales et illégales sont de plus en plus imbriquées, introduisant un changement fondamental dans les structures du capitalisme d’après-guerre. Les mafias investissent dans les affaires légales et, inversement, celles-ci canalisent des ressources financières vers l’économie criminelle, à travers la prise de contrôle de banques ou d’entreprises commerciales impliquées dans le blanchiment d’argent sale ou qui ont des relations avec les organisations criminelles. Les banques prétendent que ces transactions sont effectuées de bonne foi et que leurs dirigeants ignorent l’origine des fonds déposés.
« La devise étant de ne poser aucune question, le secret bancaire et l’anonymat des transactions, tout en garantissant les intérêts du crime organisé, protègent l’institution bancaire des enquêtes publiques et des inculpations. Non seulement les grandes banques acceptent de blanchir l’argent, en échange de lourdes commissions, mais elles octroient également des crédits à taux d’intérêt élevés aux mafias criminelles, au détriment des investissements productifs industriels ou agricoles. Il existe une relation étroite entre la dette mondiale, le commerce illicite et le blanchiment de l’argent sale ».
Depuis la crise de la dette au début des années 80, le prix des matières premières a plongé, entraînant une baisse dramatique des revenus des pays en développement. Sous l’effet des mesures d’austérité dictées par les créanciers internationaux, des fonctionnaires sont licenciés, des entreprises nationales bradées, des investissements publics gelés, et des crédits aux agriculteurs et aux industriels réduits. Avec le chômage rampant et la baisse des salaires, l’économie légale entre en crise.
« Dans beaucoup de pays, une économie souterraine alternative s’est développée, terrain fertile pour les mafias criminelles. Marché national et exportations s’étant effondrés simultanément, un vide s’est créé dans le système économique où la production illicite devient le secteur d’activité dominant et la principale source de devises. Selon un rapport des Nations unies, « l’intrusion des syndicats du crime a été facilitée par les programmes d’ajustement structurel que les pays endettés ont été obligés d’accepter pour avoir accès aux prêts du Fonds monétaire international».
En Bolivie, la «nouvelle politique économique» préconisée par le FMI et appliquée en 1985 contribua à l’effondrement des exportations de minerai d’étain et au licenciement massif de mineurs par le consortium minier d’Etat Comibol. Les indemnités de licenciement versées aux travailleurs furent réinvesties dans l’achat de terres dans les zones de production de coca, provoquant un important accroissement du commerce de narcotiques. De même, le programme d’ajustement structurel et de « stabilisation économique » mis en oeuvre au Pérou par le président Alberto Fujimori provoqua des ravages.
«Le « Fujichoc » de 1990 (qui incluait une multiplication par trente du prix du pétrole du jour au lendemain) entraîna la destruction de la production agricole légale (café, maïs et tabac) et un développement rapide des cultures de coca dans la région du haut Huallaga».
Cependant, la croissance du commerce illicite ne se limite pas à l’Amérique latine ni aux triangle et croissant asiatiques de la drogue. En Afrique, la suppression des barrières commerciales et le dumping des surplus céréaliers européens et américains sur les marchés locaux ont entraîné le déclin dramatique des productions agricoles vivrières. L’autosuffisance alimentaire a été sapée. Plusieurs pays, écrasés sous le poids de la dette extérieure, se sont tournés vers la culture du cannabis. Au Maroc, des milliers de paysans se sont mis à la culture du haschich. Ce dernier donne lieu à des échanges extérieurs illicites d’une valeur équivalente à la totalité des exportations agricoles marocaines légales. Dans plusieurs pays d’Afrique, les mafias de la drogue ont aussi réussi des percées significatives dans la politique locale.
«Depuis le début des années 90, les pays de l’ancien bloc soviétique ont, à leur tour, été soumis à une médecine économique de cheval par leurs créanciers extérieurs, avec des conséquences dévastatrices. La pauvreté et la désorganisation de la production favorisent l’essor de l’économie criminelle. En Ukraine, par exemple, le FMI a patronné, en octobre 1994, des réformes macroéconomiques qui ont contribué à précipiter une crise profonde de l’agriculture vivrière. Et l’Observatoire géopolitique des drogues confirme qu’avec la chute de la production de blé la culture de l’opium s’y développe rapidement. Avec le déclin de l’agriculture locale, la culture du pavot et les laboratoires d’héroïne, contrôlés par la mafia italienne de la Santa Corona Unita, ont également fait leur apparition dans l’ancienne Yougoslavie».
Les privatisations et les programmes de restructuration de la dette exigés par les créanciers extérieurs ont fait passer un grand nombre de banques d’Etat latino-américaines et est-européennes sous le contrôle de banques d’affaires occidentales et japonaises. En Hongrie, par exemple, la Banque internationale centre-européenne (CIB) a été achetée par un consortium de banques étrangères comprenant la Banque commerciale d’Italie, la banque allemande Bayerischer Verein, la Banque de crédit à long terme du Japon, la banque Sakura et la Société générale. La CIB a toute liberté d’intervenir dans le secteur juteux du blanchiment de l’argent, sans intervention du gouvernement et sans avoir à se plier à la réglementation et au contrôle des changes.
«En 1992, au Luxembourg, une affaire judiciaire confirma que la CIB avait été utilisée par le cartel de Cali pour des transferts de capitaux. Selon la brigade hongroise anti-drogue, « avec les problèmes économiques de ce pays et ses besoins de liquidités, on ne peut pas exiger du gouvernement qu’il regarde de trop près l’origine des fonds déposés dans ses banques».
En Bolivie et au Pérou, les réformes du système bancaire sous la tutelle du FMI ont facilité la libre circulation des devises. Ce qui, selon un observateur, « a abouti à rien moins que la légalisation du blanchiment par le système financier péruvien ». De surcroît, plusieurs banques privées nationales, soupçonnées d’avoir été préalablement impliquées dans les activités de blanchiment de l’argent sale, sont passées sous le contrôle de capitaux étrangers : par exemple, c’est le cas d’Interbanc, une banque d’Etat péruvienne acquise en 1994 par Darby Overseas, un consortium domicilié dans les îles Caïmans.
Selon le Financial Times, Darby «envisage d’investir dans le secteur des banques d’affaires péruviennes, à des taux à hauts risques, en attendant un plan Brady de restructuration de la dette. (...) Darby a été créé il y a un an [en 1994] par M. Brady [l’ancien secrétaire au trésor du président George Bush] , son assistant en chef, M. Hollis McLoughlin, et M. Daniel Marx, ancien sous-secrétaire aux finances en Argentine. (...) Le principal responsable d’Interbanc est M. Carlos Pastor, ancien ministre de l’économie du Pérou au début des années 80».
Les programmes de privatisation ont sans conteste facilité le transfert d’une fraction significative de la propriété publique au crime organisé. Il n’est pas surprenant que les mafias russes, qui constituent la nouvelle classe de possédants, aient été les fervents partisans du néolibéralisme ainsi qu’un soutien politique aux réformes économiques du président Boris Eltsine. On compte au total plus de
1300 organisations criminelles dans la Fédération russe. Selon une étude récente publiée par l’Académie des sciences de Russie, «le crime organisé contrôle 40 % de l’économie, la moitié du parc immobilier commercial de Moscou, les deux tiers des institutions commerciales, soit au total 35 000 entreprises, 400 banques et 150 sociétés d’Etat. Une branche de la mafia russe est impliquée dans la vente de matériel de type militaire, spatial et nucléaire, y compris des missiles téléguidés, du plutonium pour armes nucléaires et de l’armement conventionnel. Non seulement les syndicats du crime russes tiennent en laisse politiques et hauts fonctionnaires, mais ils ont aussi leurs propres représentants à la Douma».
Ce nouvel environnement de la finance internationale forme un terrain fertile pour la criminalisation de la vie politique. De puissants groupes de pression liés au crime organisé et agissant de manière clandestine sont en train de se déployer. Bref, les syndicats du crime exercent leur influence sur les politiques économiques des Etats. Dans les nouveaux pays d’économie de marché, mais aussi dans l’Union européenne, en Amérique du Nord et au Japon, où existe une corruption rampante, des personnalités politiques et gouvernementales ont tissé des liens d’allégeance au crime organisé. La nature de l’Etat comme les structures sociales sont ainsi en train de se transformer. Dans l’Union européenne, cette situation est loin de se limiter à l’Italie, où Cosa Nostra a quadrillé les sommets de l’Etat.
«Dans plusieurs pays d’Amérique latine, les cartels de la drogue ont investi l’appareil d’Etat et intégré les partis politiques en place. Le récent scandale concernant le Parti libéral de Colombie a révélé que la campagne pour l’élection du président Ernesto Samper aurait bénéficié de contributions financières substantielles du cartel de Cali. De même, les assassinats politiques au Mexique, en 1994, y compris la mise en cause de l’ancien président, M. Carlos Salinas, et de son frère Raul, en prison pour meurtre, ont mis en évidence le rôle des cartels mexicains de la drogue dans la conduite du Parti révolutionnaire institutionnel (PRI)».
Au Venezuela, les narco-mafias auraient utilisé la plus grande banque commerciale du pays, le Banco latino, pour blanchir les profits du trafic de drogue. Avant sa spectaculaire faillite en 1994, entraînant avec elle dix-neuf autres banques vénézuéliennes, le Banco latino était contrôlé par la famille de M. Pedro Tinoco, qui était aussi à la tête de la banque centrale sous le gouvernement du président Carlos Andres Perez, poursuivi pour corruption. M. Pedro Tinoco fut le principal architecte du programme d’ajustement structurel mis en place en 1988. Selon les propos d’un observateur, «les cartels de la drogue agissaient en symbiose avec les structures économiques et politiques...».
L’effondrement de l’activité économique légale, industrielle et agricole a précipité un grand nombre de pays en développement dans la camisole de force de la dette et de l’ajustement structurel. Il est des pays où le service de la dette excède le total des recettes d’exportations légales. Dans certaines circonstances, les revenus tirés du commerce illicite procurent une source alternative de devises qui permet aux gouvernements endettés de remplir le service de la dette. «C’est le cas des « narcodémocraties » d’Amérique latine, où les narcodollars, une fois blanchis et recyclés dans le système bancaire, pourront servir aux gouvernements pour remplir leurs obligations auprès des créanciers extérieurs. L’acquisition de sociétés d’Etat par le crime organisé, grâce aux programmes de privatisation, est tacitement acceptée par la communauté financière internationale comme un moindre mal : elle permet aux gouvernements de rembourser leurs dettes».
La multiplication des trafics illicites (dont le trafic de drogue n’est qu’un parmi tant d’autres) permet de transférer des sommes énormes en faveur des créanciers privés et officiels. Il y a une logique dans cette restructuration car, en dernière instance, les créanciers favorisent un système fondé sur la libre circulation de l’argent. Pour autant que le service de la dette soit remboursé, les créanciers ne font guère de distinction entre "argent propre" et "argent sale". Dans ces circonstances, selon les termes du rapport des Nations unies, «le renforcement au niveau international des services chargés de faire respecter les lois ne représente qu’un palliatif. A défaut d’un progrès simultané du développement économique et social, le crime organisé, à une échelle globale et structurée, persistera».
Le spécialiste Michel Chossudovsky semble commencer à être entendu, puisque la police italienne a mené vendredi 26 juillet 2013, révèle l’AFP, deux vastes opérations anti-mafia. La première à Rome et la seconde en Calabre, berceau de la 'Ndrangheta. Ces actions visent au total une centaine de personnes, dont des entrepreneurs, des avocats et même un sénateur.
A Rome, l'opération baptisée "Nouvelle aube" par opposition à "la longue nuit" que la mafia a imposée à la Ville éternelle, a permis de donner "un coup mortel à la cellule mafieuse opérant depuis des années dans la capitale", affirme la police dans un communiqué. L'opération, "l'une des plus vastes jamais conduites à Rome", a visé 51 personnes qui menaient des "activités illicites" dans la capitale même et sur son littoral à Ostie, a précisé à l'AFP un porte-parole de la police, Mario Viola. Six d'entre elles se trouvaient déjà entre les mains de la police avant l'opération tandis que toutes les autres ont été arrêtées.
Trafic de drogue, usure, extorsion de commerçants, contrôle du marché des machines à sous, infiltration dans les appareils administratifs pour l'octroi de logements sociaux, contrôle d'activités balnéaires sur les plages d'Ostie.... La palette des activités de ces clans était vaste.
Selon la police, des clans considérés comme «le saint des saints du crime romain et sicilien ont été ciblés. L'organisation était composée de deux grandes familles mafieuse, les Fasciani et les Triassi, qui sont liées à Costa nostra», la mafia sicilienne, a expliqué à la presse le chef des opérations, Renato Cortese.
Grâce à des écoutes téléphoniques, les enquêteurs ont pu établir comment «depuis pratiquement vingt ans, les membres des clans Fasciani et Triassi se répartissaient le territoire dans une sorte de pax mafiosa, au sein de laquelle chacun pouvait mener tranquillement ses trafics illicites. Alors que les Fasciani obtenaient le contrôle du territoire, forçant les commerçants à payer le "pizzo" (impôt extorqué par la mafia) dans la zone d'Ostie, les Triassi avaient le monopole du trafic de drogue et d'armes», a précisé Giuseppe Pignatone, chef du Parquet.
Les entrepreneurs qui refusaient de s'acquitter du pizzo - seulement un sur dix selon la police - étaient l'objet de violentes intimidations. Et si l'un d'entre eux n'était pas en mesure de payer, les mafieux lui "prêtaient" de l'argent à des taux prohibitifs, "l'ultime objectif étant de s'approprier le business" de la victime. Vendredi, 16 commerces - restaurants et centres de location de voitures - ont été placés sous séquestre. Les enquêteurs ont pu suivre "toutes les étapes criminelles de l'organisation mafieuse" : de l'entrée d'un nouvel impétrant aux accords entre chefs pour la répartition du territoire, en passant par les différentes réunions pour régler les problèmes nés de la gestion du territoire. Mais aussi la planification d'homicides "nécessaires pour garantir et maintenir la suprématie" sur certaines activités.
"Nous devons penser à notre avenir et celui de nos amis", dit ainsi le "boss" du clan Fasciani dans une conversation téléphonique interceptée.
À Rome, quelque 500 policiers ont participé à l'opération, avec un hélicoptère, des unités cynophiles et des patrouilles de la police maritime. L'opération a été menée jusqu'en Espagne avec l'arrestation d'un des chefs historiques de la famille Triassi, sur l'île de Tenerife et deux autres mafieux à Barcelone. "Ce premier coup dur" infligé à la mafia à Rome été salué par l'association Libera, qui y a vu le signe que la mafia n'est pas seulement "infiltrée, mais ancrée" dans le Latium, la région de Rome, "devenue un des points névralgiques du trafic de drogue".
La seconde opération, "totalement distincte", a visé 65 personnes à Lamezia Terme, dans la région de Catanzaro, en Calabre. Parmi elles, "des entrepreneurs, des politiciens et des avocats", a indiqué Mario Viola, ainsi que des médecins et des personnels de l'administration pénitentiaire. Un sénateur du parti de Silvio Berluconi, le PDL, Piero Aiello, a été placé sous enquête pour avoir "acheté" des voix aux élections par l'intermédiaire de la mafia, tandis qu'un membre du même parti, conseiller provincial et actuel vice-président de la société de gestion de l'aéroport de Lamezia Terme, a été arrêté. Outre le délit d'association mafieuse, certaines des personnes arrêtées sont accusées d'homicides perpétrés dans le cadre d'une guerre interne à la mafia, entre 2005 et 2011.
La 'Ndrangheta, qui trouve son origine en Calabre mais a essaimé dans le nord de l'Italie ces dernières années, est la plus active et violente des quatre organisations criminelles italiennes, les trois autres étant Cosa Nostra (Sicile), la Camorra (Naples) et la Sacra Corona Unita (Pouilles). La "brillante opération" de la police de Catanzaro "donne des frissons", a commenté Sonia Alfano, présidente de la Commission anti-mafia européenne. Pour elle, "les collusions entre mafia, politique, et milieux d'affaires constituent la véritable force des mafia. Tant que ces liens seront maintenus il sera difficile d'en sortir".