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tictacogecko secundo
28 juillet 2013

VALENTINE, LA MALADE INCOMPRISE

Qui croirait à la voir porter avec un certain charme ses quarante et quelques années, que Valentine souffre le martyre? Personne sans doute. Et pourtant… Epouse d’un maître du barreau et mère d’un garçon de 21 ans qui poursuit ses études aux Etats-Unis, Valentine consacre tous ses instants de loisirs -et ils sont nombreux- à visiter tous les experts de la chose médicale. En vain. Pas un n’a été fichu en vingt ans de déterminer avec précision le mal dont elle souffre.

Sauf peut-être ce vieux médecin de campagne, dérangé en pleine nuit, il y a deux ans, lors d’un week-end chez les Gauthier-Malard dans leur propriété de La Baule et qui lui a jeté le mot à la figure. «Hypocondriaque! Et d’un ton ma chère. Vous auriez entendu ça, vous en auriez été révoltée ».

Heureusement, tous ne sont pas comme lui. Il est des praticiens consciencieux qui ne ragardent ni au temps, ni à la dépense. Qui vous libellent une ordonnance sérieuse avec piqûres, gélules, gouttes, pilules. «Le matin au réveil, vingt gouttes de Diméthyltétracortyphenolbutazone, ensuite, avant chaque repas quatre gélules de Fancivor et trois comprimés de Mortazyl, le tout pendant vingt jours. Puis trois injections quotidiennes de Glutamorfol pendant une semaine et vous verrez que ça ira beaucoup mieux».

De fait ça va beaucoup mieux. Pendant un certain temps. Est-ce le Glutamorfol? Ou le Mortazyl? Ou le charisme personnel du médecin? Mystère. Peut-être les trois à la fois. Et puis voilà que des bribes de conversation entendues dans un salon de thé, à moins que ce ne soit la lecture d’abord distraite, bientôt attentive, de la rubrique médicale d’un hebdomadaire féminin, font éclater la vérité. Valentine souffre bien du syndrome de Finkelstein, récemment découvert par l’éminent spécialiste qui porte ce nom.

Tout y est : symptômes caractéristiques, modification de l’humeur, évolutions. Valentine sait qu’elle n’a plus à hésiter. Il lui faut rencontrer le professeur Finkelstein. Mais ce n’est pas aussi simple que ça. Finkelstein consulte bien tous les jours, mais à Canberra (Australie). Heureusement qu’Astrid, son amie vient d’apprendre que la France possédait en la personne du professeur Luciani, l’unique spécialiste européen du syndrome de Finkelstein. Luciani est chef de service à l’hôpital de la Timone, à Marseille. C’est tout de même moins loin que Canberra…

Luciani est un homme charmant. Grâce à quelques passe-droit, Valentine a réussi très vite à obtenir un rendez-vous. Après vingt minutes d’auscultation approfondie, tombe le verdict. «Décidément non Madame, vous n’avez pas le syndrome de Finkelstein. Néanmoins, pour que vous n’ayez pas fait ce long voyage pour rien, je vais vous prescrire un régime alimentaire qui fait merveille dans des cas comme le vôtre».

Valentine est très déçue de ne rien avoir de grave. Pourtant le régime du professeur Luciani la console un peu de sa désillusion. Parce que les régimes elle aime ça. Depuis qu’elle passe le plus clair de son temps dans les cabinets médicaux, elle a bien dû en expérimenter une trentaine. Sans sel, sans sucre, sans alcool, sans légumes, sans viande, sans fruits, sans eau, dissocié, rythmé, hypocalorique, hyperprotéiné, elle les a tous essayés. Sans exception. La diététique contemporaine n’a plus de secrets pour elle. Ni pour … son mari ! Le pauvre homme est passé d’une semaine entière vouée à l’ananas, à une quinzaine placée sous le signe du gruyère, avant de s’adonner aux délices du riz complet sans assaisonnement. Il a fini par comprendre. Désormais sa vie est une succession ininterrompue de repas d’affaires. Au restaurant.

Valentine sait que la santé est une chose trop sérieuse pour que l’on néglige de faire certains investissements indispensables. La visite de son cabinet de toilette personnel montre qu’elle a su investir à bon escient. Appareil pour mesurer soi-même sa pression artérielle, lampe émettrice de rayons ionisants, machine à faire travailler les abdominaux sans efforts, exerciseur pour la colonne vertébrale, cabine d’amaigrissement, rien n’y manque. Quant à son armoire à pharmacie, elle constitue un irremplaçable témoignage de la diversité d’inspiration des laboratoires français et étrangers. N’allez pas croire toutefois que l’anarchie y règne.

Valentine la gère avec méticulosité et efficience. Elle a établi sur une feuille dactylographiée un planning très précis grâce auquel elle sait par exemple qu’elle devra prochaînement éliminer les deux tubes de Morganine qui lui restent de la prescription du docteur Nguyen Gunnarsson. Pour cause de date-limite. Elle le fera méthodiquement, mais non sans déchirement. Elle préfère mille fois faire profiter un valétudinaire de ses amis de tel ou tel médicament qu’elle a personnellement expérimenté, plutôt que de le jeter le moment venu.

Valentine aime bien procéder de même avec les praticiens qui ont eu, à un moment ou à un autre, ses faveurs. Elle s’est consitué un fichier personnel où elle a inscrit les noms, adresses, et numéros de téléphone de ceux qu’elle a consultés, leur spécialité et aussi -petite innovation personnelle- la note qu’elle leur a attribuée. L’autre jour, un ami de son mari parlait des douleurs violentes qu’il ressentait dans les reins. Sans rien dire, elle est allée discrètement consulter son fichier. A la rubrique reins, elle a trouvé la fiche du docteur Coulibaly, visité trois fois en 1971. Toutes ses prescriptions y figuraient scrupuleusement, ainsi que la note attribuée à l’homme de l’art : 18 sur 20. Quelqu’un de tout à fait recommandable !

Hier après-midi, sur les conseils de Marie-Charlotte, une autre amie, elle s’est rendue à l’hôpital américain de Neuilly, à la consultation du docteur Stephen Brown. Elle a aimé l’élégance et la distinction du professeur. Elle a également souri finement quand il lui a demandé : «Avez-vous déjà vu d’autres médecins, Madame»?

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