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tictacogecko secundo
2 août 2013

GRANDE DISTRIBUTION : ABUS DE POSITION DOMINANTE

L’histoire de la grande distribution française, commence comme un conte de fées. Bernardo Trujillo (1920-1971) est un américain d'origine colombienne. C’est l'un des premiers à formaliser dans les années 1950 aux États-Unis, les principes théoriques et pratiques qui vont faire le succès la grande distribution moderne. On peut considérer, qu'avec Marcel Fournier et les frères Defforey, mais également avec Maurice Cauwe, il est à l'origine de la diffusion de ce qui deviendra l'hypermarché à la française.

Ce théoricien de la mise en marché organise les conférences «Méthodes marchandes modernes» (MMM) pour le compte du fabricant de caisses enregistreuses NCR (National Cash Register) auxquelles les principaux acteurs de la grande distribution française assistent, parmi lesquels : Marcel Fournier (Carrefour), Jacques et Denis Defforey (Carrefour), Gérard Mulliez père et Gérard Mulliez Fils (Auchan), Paul Dubrule (Accor), Gérard Pélisson (Accor)… Finalement, seul Édouard Leclerc (E.Leclerc) semble fier de ne pas avoir fait le détour par Dayton (Ohio).

 Les cours de Bernardo Trujillo ont eu valeur de révélation pour les nombreux pèlerins de la distribution, dont près de deux mille cinq cents français entre 1957 et 1965. Convaincu que distribution de masse et production de masse sont indispensables l’une à l’autre, il explique les avantages de la grande surface, du libre-service et du discount, en martelant des formules chocs : «no parking, no business», «des îlots de pertes dans un océan de profits», «empilez haut et vendez bas») qui restent gravées dans les esprits. Tous en reviennent persuadés que «l’oracle de Dayton» dessine les voies de l’avenir.

Cela a fait cinquante ans le 15 juin, que la sulfureuse Françoise Sagan coupe en 1963 le cordon du premier hypermarché en banlieue parisienne, le Carrefour de Sainte-Geneviève-des-Bois. Pour l'enseigne, qui deviendra numéro deux mondial de la distribution, il s'agit de frapper un grand coup. La cible? Un certain Edouard Leclerc, qui joue les bons samaritains en cassant les prix. Cinquante ans après, rien n'a changé. Michel-Edouard Leclerc, en digne fils de son père, répète comme une antienne : «On est les moins chers». Et Georges Plassat, le PDG de Carrefour, lui répond : «Mais non, c'est nous». Enchères perpétuelles à la baisse auxquelles se joignent d'autres enseignes, dont Intermarché.

 

Voilà cinquante ans que le consommateur est emporté (mené en bateau) par une communication massive, agressive, de la grande distribution, qui s'érige en défenseur du pouvoir d'achat. Et dont la recette n'a jamais changé : pour conserver les prix au plus bas, il faut faire du volume, toujours plus de volume. Les enseignes n'ont pas le choix, elles se concurrencent et se neutralisent. Et ça ne s'arrange pas avec le recul du pouvoir d'achat. «Nous sommes lancés dans une fuite en avant», constate Michel-Edouard Leclerc. Et un de ses confrères ajoute : «Nous ne pouvons pas sortir du modèle que nous avons inventé». Premières victimes : les industriels

-petits et gros-  de l'agroalimentaire, pris en otages, pressurés, sinon étranglés, par la grande distribution. Les accusés rejettent invariablement le propos. Quoique... Dans un accès de lucidité surprenant, Georges Plassat relève récemment dans LSA, un hebdomadaire spécialisé, que, si "l'on continue comme ça, on va au désastre". Pour lui, ajoute-t-il, la "bataille des prix, ça se termine sur des ruines" avec, à la clé,"baisse des investissements, réduction des emplois, déclin de l'innovation et de la recherche".

 

Cette même lucidité est semble-t-il partagée par président de Système U, Serge Papin. Invité sur RMC et BFMTV, Serge Papin prévient que les plats préparés à base de viande 100% française seront 10% plus chers. Le PDG de l'enseigne de grande distribution Système U appelle à ne pas toujours chercher à baisser les prix au mépris des producteurs, de l'emploi, ou de l'environnement.

 

Serge Papin : «Sur certains produits, je trouve que cela relève plus de la grande consommation que de la pharmacie. Nous n’avons pas le droit de vendre des tests de grossesse, du mercurochrome, ni de produits pour les lentilles!» Il ajoute : «Il faut dire où nos bêtes ont été produites, comment elles ont été nourries, avec quoi. Le lait, le porc, le beurre sont déjà 100% français dans nos magasins».

 

Il en profite pour insister: «il faut interdire les prix abusivement bas sur les grandes marques internationales, au mépris des conditions sociales. C'est un projet de société. Il faut aider à la relocalisation de l’industrie en France, et de l’emploi. Vous voulez qu’on continue à mettre la pression sur les filières agricoles ? Il faut changer la loi de modernisation de l’économie. Elle a tous les travers de la mondialisation : c’est la loi du plus fort. Peut-être faudrait-il favoriser l’élevage en France. Peut-être faut-il réorienter les aides de la PAC, car les éleveurs français en ont besoin».

 

Serge Papin ne manque pas d’avertir ses lecteurs : « il faut le savoir, des plats cuisinés uniquement à base de viande française ce sera sans doute un petit peu plus cher, à peu près 10%, soit 10 à 15 centimes d’euros sur un plat. On demande à l’alimentation de porter la problématique du pouvoir d’achat. Est-ce qu’on ne pourrait pas moins téléphoner, et manger mieux ? Le prix à tout prix, sans tenir compte de l’emploi, de la santé, de l’environnement, il faudra se poser ces questions».

 

Prise de conscience tardive de la dégradation de l'industrie agroalimentaire ? Première du pays par le chiffre d'affaires et le nombre d'emplois, elle traverse une crise sans précédent. Ses investissements - et donc l'innovation - sont au plus bas. 297 entreprises ont mis la clé sous la porte l'année dernière, 3 900 postes ont été supprimés. Plus de 5 000 pourraient disparaître ce semestre, soit l'équivalent de huit Florange. Pour finir, les repreneurs familiaux se font rares. La France n'est pas près de donner naissance à un nouveau Danone.

 

Difficile de ne pas incriminer les distributeurs, qui abusent, depuis des années, de leur position de force pour imposer leurs prix et leurs pratiques aux fournisseurs, moyennant si nécessaire des accommodements avec la loi. Exemple : « il y a une inflation des budgets qui permettent de faire financer la promotion du produit par le seul fournisseur», indique Bercy. Cartes de fidélité, bons de réduction... sont proposés par les distributeurs et payés en réalité par les industriels. «Certains distributeurs vont jusqu'à proposer des miniprix ou des réductions pour certains produits durant plusieurs semaines, alors que contractuellement ils ne peuvent le faire qu'une semaine. Le fournisseur, lui, subit les rabais tout le temps» !

 

Aujourd'hui, nouvelle menace, Bercy redoute un racket au crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi de la part de la grande distribution sur les industriels. La plupart des acheteurs connaissent parfaitement les comptes de leurs fournisseurs. A partir de là, ils peuvent estimer le montant de l'aide reçue et réclamer leur au moment des négociations... «Aujourd'hui, lors de nos entretiens, certains acheteurs s'accrochent à leur ordinateur. Ils jouent avec leurs tableaux Excel. Ce logiciel leur permet d'intégrer toutes les variables, enfin celles qui les arrangent, pour établir leurs prix», explique un industriel.

 

Depuis quelque temps, la grande distribution opte aussi pour des commandes à flux tendus afin de limiter la casse et les coûts de stockage. «Nous sommes par exemple avertis le mardi pour une double commande : la première à livrer le lendemain et l'autre le samedi. Si on n'arrive pas à tout préparer pour le mercredi, on doit payer des pénalités et la commande du samedi est annulée. Du coup, c'est à nous de supporter le coût des stocks», accuse un industriel.

 

Autre source de complications, la volatilité du prix des matières premières. «En quatre ans, les matières premières qui composent mes pâtisseries ont pris 46 %. Elles constituent la moitié du coût du produit. J'aurais dû augmenter mes prix de 30 % pour amortir la hausse, sans compter les coûts de l'énergie et les impôts. Au lieu de cela, j'ai perdu 8 points de marge brute, se désespère un petit patron provençal. Il ne faut pas s'étonner ensuite que certains fournisseurs modifient leurs recettes au profit d'ingrédients de moindre qualité et forcément moins chers. Comme ceux qui ont mis du cheval à la place du boeuf »!

 

Toutes ces accusations sont balayées d'un revers de main par la grande distribution. Elle préfère accabler les confortables profits des multinationales de l'agroalimentaire, les Nestlé, Danone, Pernod-Ricard, Ferrero et autres Kraft... Réplique de l'une de ces cibles, française : «On donne l'impression de bien se porter. Mais nous améliorons nos résultats grâce à l'international et baissons nos standards en France». C'est sans doute pourquoi Danone et Coca-Cola ont annoncé des licenciements dans l'Hexagone. A l'en croire, donc, la grande distribution serait impitoyable avec les multinationales - qui, il est vrai, ont du répondant -, tandis qu'elle serait la meilleure alliée des PME. Vraiment ?

Les distributeurs se ménagent surtout des fournisseurs plus dociles, moins formés que les géants, moins équipés aussi pour vérifier que les conditions de vente conclues sont bien respectées dans l'ensemble de l'Hexagone. En disant protéger les «petits», la distribution se targue même de défendre la qualité des produits des terroirs (viande, charcuterie, vins, fromages...). «Mais les distributeurs ne cherchent qu'à nous diviser», s'insurge le dirigeant d'un géant de l'agroalimentaire. Ce n'est pas inutile au moment où le gouvernement dégaine un projet de loi pour recadrer les relations commerciales et, plus généralement, arrêter la chute vers l'abîme dans laquelle nous entraîne la grande distribution.

 

Issue très incertaine. Car tout le monde s'est mis en mode lobbying, l'inévitable Michel-Edouard Leclerc faisant déjà la course en tête. N'a-t-il pas été reçu - c'était le 10 mai - par François Hollande ? Le Breton ne voit d'ailleurs pas l'intérêt de changer les règles du jeu héritées de la loi de modernisation de l'économie de 2008. On le comprend : ce texte avait alors enterré les marges arrière, réintroduites ensuite, dans les faits, sous d'autres formes. Dans toutes les négociations, la grande distribution ne manque pas d'arguments à l'égard d'un gouvernement et d'un président de la République plus que jamais soucieux de l'emploi. Elle caresse le «bouton nucléaire», cette menace de remplacer les caissières par des scanners.

 

Côté industriels, le moral n'est pas celui de combattants. «On a une réputation catastrophique, on nous présente comme les fauteurs de malbouffe, le tout évidemment orchestré par la grande distribution. Il faut reconnaître qu'ils sont forts, admet un industriel.Il nous faudrait un de leurs patrons pour nous défendre» ! L'appel à candidatures est lancé.

Autre remarque, qui va dans le même sens, celle d’un journaliste de la Dépêche du Midi, Gérald Camier  qui constate que la grande distribution est aujourd’hui dans le collimateur, pour évasion fiscale.

 

 

«Depuis les années 2000, les groupes de la grande distribution, qui se sont autoproclamés défenseurs des consommateurs, font en réalité de l’abus de position dominante sur leurs fournisseurs». Le ton est légèrement féroce mais le sénateur de la Mayenne, Jean Arthuis - deux fois ministres et deux fois secrétaire d’État sous Jacques Chirac - compte bien mettre un coup de pied dans la fourmilière.

Au Sénat, lors de l’examen du projet de loi contre la fraude fiscale, il a défendu un amendement qui dénonce la présence en Suisse, Belgique et au Luxembourg, des paradis fiscaux bien connus des industriels, «d’officines qui verseraient des commissions aux enseignes de la grande distribution». Et donc beaucoup d’argent non imposable. Un système bien huilé qui «leur rapporte entre 2 et 4 milliards d’euros par an pour des produits alimentaires fabriqués et vendus en France. «Mais ce sont les consommateurs et les producteurs qui assument ces coûts qui progressent au fil des années», nous a confié par téléphone Jean Arthuis.

Les combines, pour le sénateur, c’est simple et efficace. «Le distributeur propose au fournisseur, s’il veut entrer dans le magasin et donc sur le marché, de s’acquitter de 2 % à 3 % sur chaque produit vendu. Cet argent est versé sur le compte bancaire de ces officines qui, à l’étranger, ont une fiscalité avantageuse», explique le parlementaire. Jusqu’en août 2008 et la loi de modernisation de l’économie, les officines, ou centrales offshore, étaient une pratique courante permettant aux enseignes de gonfler leurs marges. 

Pour renverser la tendance, M. Arthuis demande de «relocaliser ces établissements pour mettre un terme à ces détournements et de réintégrer ces prestations dans les bénéfices imposables des groupes en France». Les cinq grandes enseignes et leurs centrales d’achat, Carrefour (Interdis), Leclerc (Galec), Leclerc et Système U (Lucie), Intermarché (ITM), Cora (Opéra) et Auchan (Casino et Auchan France) sont dans le viseur. «Auchan a rapatrié une structure basée à Genève qui proposait des prestations de service aux fournisseurs internationaux. Mais ce n’est en rien un mécanisme d’optimisation fiscale. En 2012, nous avons payé 500 millions en impôts et taxes», assure le porte-parole d’Auchan.

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