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tictacogecko secundo
28 juillet 2013

ETIENNE OU LE BIO-AGRICULTEUR IMPROVISÉ

Voici trois ans encore, Etienne vivait en ville. Comme tout le monde ou à peu près. Et puis un jour, saisi par la passion de l’écologie, il a envoyé paître son boulot de programmeur dans une société d’informatique, pour se lancer dans l’agriculture biologique. En communauté, cela va de soi. On lui chercherait en vain des racines terriennes. Son père était instituteur, son grand-père paternel garde-champêtre et son grand-père maternel, croque-mort. Mais une vocation impérieuse comme la sienne ne se contrarie pas. Ses collègues de travail ont bien objecté qu’on ne s’improvise pas paysan, Etienne a haussé les épaules. S’il fallait se laisser arrêter par le persiflage de quelques petits bourgeois médiocres et jaloux…

Dans la boutique où il achète chaque semaine sa nourriture macrobiotique, Etienne a fait l’emplette de quelques bouquins écrits par des spécialistes américains de bioagriculture. Ils les a soigneusement potassés. Un mois plus tard, il pouvait se considérer comme un expert. Au sein de la communauté constituée autour de lui, les taches furent soigneusement réparties. En temps que spécialiste, Etienne devait s’occuper de tout ce qui concernait la culture. Marcel, de la commercialisation des fruits et légumes ainsi produits, tandis que Pierre serait chargé de la production de méthane à partir de fumier et de compost.

Quant aux trois filles, la première Alice, une ancienne vendeuse en quincaillerie, aurait la responsabilité de la fabrication des fromages de chèvre. Les deux autres, Pamela l’Anglaise et Josiane l’ex-coiffeuse se consacreraient au tissage. Au début, tout a été idyllique. Certes les paysans du coin les ont regardés avec un sourire qui en disait long, mais les autres sont restés imperturbables. Pendant les premières semaines, sous la direction avisée d’Etienne, ils ont commencé par retaper les locaux. Une ferme abandonnée sur laquelle ils avaient jeté leur dévolu, à la sortie de Grenade-sur-l’Adour.

Un soir, Marcel a laissé entendre, sans doute dans un mouvement de découragement passager, qu’il en avait ras-le-bol de s’éclairer à la bougie. Et que sans électricité, il n’était pas possible d’avoir la moindre installation frigorifique, pour stocker la future production maraîchère. Pierre lui a emboîté le pas en laissanr entendre qu’il n’aurait pas été hostile à la présence d’un téléviseur dans la maison.

Complètement éberlué sur le moment, Etienne s’est très vite ressaisi. « Non mais ça va pas les mecs ! Pourquoi pas l’air conditionné pendant que vous y êtes ? C’est pas une résidence secondaire de chirurgien ici, c’est une ferme biologique »! Les autres ont répliqué «Ouais, ouais, laisse tomber. C’était pour rigoler». N’empêche qu’ils rigolaient pas tant que ça. Cette première fêlure dans l’harmonie du groupe n’a pas eu de séquelles. Pas dans les jours qui ont suivi en tout cas.

Mais les choses ont commencé à se détériorer sérieusement quand tous les semis faits par Etienne ont été bouffés par un vol d’étourneaux. « On a pas idée d’être aussi con, lui ont reproché les deux autres. On t’avait pourtant dit de foutre un épouvantail ». Enervé, Etienne a filé une baffe à Pierre. Marcel l’a immédiatement défendu en balançant un furieux coup de pied dans la bas-ventre d’Etienne. La mêlée serait devenue générale sans les nanas qui ont réussi à les séparer.

Le lendemain tout s’est brusquement aggravé. Trois des quatre chèvres qui n’étaient pas dans une forme éblouissante depuis la semaine précédente, ont commencé à aller très très mal. Etienne a manifesté l’intention de les soigner lui-même. Il s’est fait copieusement engueuler par Alice, laquelle a sauté sur sa bicyclette et est partie chercher du secours chez le véto le plus proche. « Fièvre de Malte » le diagnostic est tombé comme un couperet !

Avec sa trogne rouge et ses sourcils broussailleux, l’avait pas l’air commode le thérapeute. « Des rigolos ! Vous êtes de sacrés rigolos ! Jamais vu des chèvres élevées aussi lamentablement. Alors c’est très simple : ou c’est les antibiotiques à haute dose tout de suite, et la quarantaine, ou alors un trou de cinq mètres de profondeur et 200 kilos de chaux vive sur les cadavres de ces pauvres bestioles ». Etienne a bien tenté d’argumenter un peu, manière de pas perdre la face, mais les autres lui sont tous tombés dessus.

Le jour suivant, c’est le métier à tisser qui a rendu l’âme. Josiane a piqué une crise de nerfs. Dix minutes après, elle a pris sa décision, ramassé ses affaires et fichu le camp. En la voyant faire, Pierre l’a imitée. Le soir, de se retrouver à quatre autour de leur méchante soupe, ça leur a fait tout drôle. Deux jours après, c’est Marcel qui est parti à son tour. Comme l’état de santé des chèvres s’était un peu amélioré, la tension avait baissé entre Alice et Etienne.

Finalement, c’est l’orage qui a eu raison de la communauté, en venant à bout de la toiture. Les deux survivantes ont quitté les lieux en autostop, laissant Etienne seul avec ses chimères. Dans les mois qui ont suivi, il s’est loué dans diverses propriétés de la région. Jamais bien longtemps. L’incompétence alliée au mauvais caractère, ça fatigue les gens les mieux disposés.

Heureusement, il a réussi un peu plus tard à trouver une nouvelle communauté qui a bien voulu de lui. Le pied. On y cultivait gentiment un demi-hectare de cannabis. De quoi procurer de solides revenus à la joyeuse équipe. Jusqu’au jour où les gendarmes sont arrivés et ont mis le feu à la récolte. Après ça, Etienne s’est successivement intéressé à l’électroculture, à l’élevage des escargots, à la culture de la lavande. Toujours avec la même foi. Toujours avec le même insuccès.

Depuis trois mois il est reconverti dans l’apiculture. Ce matin, il a goûté pour la première fois à la production de ses ruches. Immangeable, dégueulasse ! Jamais il n’a ingurgité quelque chose d’aussi mauvais. Notre berger d’abeilles amateur a enfin décidé de revenir à la civilisation. Son parrain vient de lui trouver un job intéressant. Dans une fabrique de plats cuisinés surgelés.

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